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Au point de vue moral, son influence a été désastreuse. On peut dire sans doute (et Aristophane qui, tout compte fait, songe surtout à s’amuser, le dit lui-même tout le premier) que sa haine clairvoyante à l’endroit des femmes a ouvert les yeux aux maris, ce qui peut être un bénéfice matériel, en quelque sorte, de la morale. Écoutez les aveux, en même temps que les récriminations de cette gaillarde : « Il y a longtemps que je soufl’re de nous voir insultées par Euripide, ce fils de fruitière qui nous prodigue toutes sortes d’outrages. Nous a-t-il assez criblées, calomniées partout où il y a des spectateurs, des tragédiens et des chœurs. Ne nous traite-t-il pas de galantes, d’amoureuses, d’ivrognesses, de traîtresses, de bavardes ?… »

Sans doute Euripide a fait tout cela et il pourrait dire : « Suis-je donc pas un bon serviteur de la morale, puisque j’en suis comme le cerbère ? » Oui, si l’on veut ; mais est-ce en être bon serviteur que de « représenter sur la scène tout ce qu’il y a eu de perverses ; » que de « ne mettre sur la scène que des Ménalippes et des Phèdres, en omettant avec soin Pénélope, parce qu’elle passait pour vertueuse ? »

Glissons, si on nous le demande, sur ce chapitre des femmes. Euripide pourrait répondre que, s’il a omis Pénélope, il n’a point omis Alceste, et quel homme, après avoir supplié tout le monde de mourir à sa place, notamment son père, et très inutilement, ne serait heureux d’avoir une femme qui, de tout son cœur, se précipite dans l’Adès pour qu’il n’y aille que beaucoup plus tard ?

Mais Euripide, s’il a pu servir indirectement la morale quelquefois, l’a attaquée directement maintes fois. Il a fait dire à un personnage en parlant d’un serment : « Ma bouche a juré ; mais non pas mon cœur, » maxime odieuse qu’Aristophane répète à satiété, comme si c’était Euripide qui l’eût proférée lui-même et en son propre nom.

Il a mis sur la scène des « hymens infâmes, des prostitutions, des adultères et des incestes. » Qu’il dise lui-même ce qu’on doit admirer dans un poète. Qu’il réponde. Il répond, très imprudemment : « Les sages conseils qui rendent les citoyens meilleurs. » — « Eh bien ! s’écrie Eschyle, si tu as manqué à ce devoir, si d’honnêtes et purs qu’étaient les hommes tu en as fait des vauriens, quel châtiment crois-tu mériter, si ce n’est la mort ? Voyez donc quels hommes bons et grands et braves je