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lui ai laissés ; ils ne fuyaient pas les charges publiques ; ce n’étaient pas comme aujourd’hui des fainéans, des fourbes et des charlatans ; ils ne respiraient que lances, piques, casques aux blanches aigrettes, cuirassés et cuissards ; c’étaient des âmes doublées de sept cuirs de bœuf. » À l’œuvre on connaît l’artisan. Qu’est-ce que, pour sa part, Euripide a fait d’Athènes ?

Mais, pourrait répondre Euripide, et c’est en effet ce qu’il répond, mon métier est d’abord de peindre la vie et l’histoire. « Ce n’est pas moi qui ai inventé l’histoire de Phèdre. »

Oh ! Le voilà le grand argument des immoralistes sournois. J’écris la vie, j’écris l’histoire ; je ne les contresigne pas ; je ne les recommande pas ; je ne les donne pas comme des modèles. Ceci est une simple hypocrisie. Dans l’histoire et dans la vie, le poète a la liberté de choisir et ce n’est pas un très bon signe qu’il choisisse ce qu’il y a de plus honteux. Écoutez Eschyle : « L’histoire de Phèdre est vraie ; mais le poète doit cacher ce qui est infâme et ne pas le produire, ne pas l’étaler sur la scène. Le maître d’école instruit l’enfance et le poète instruit l’âge mûr. Nous ne devons montrer que le bien. »

Très grave parole, qui atteint tous les artistes qui, sans recommander le crime, le peignent et se croient, naïvement ou habilement, le droit de le peindre.

Grave parole qui atteint en pleine poitrine Aristophane lui-même ; car personne plus que lui, sans doute, n’a peint le vice et ne l’a étalé sur la scène.

Grave parole qui proscrirait non pas seulement telle ou telle pièce, tel ou tel ouvrage ; mais des genres tout entiers, ou à bien peu près, comme la comédie, comme la satire, comme l’histoire et comme le sermon, en vérité. Car il est difficile de faire une comédie un peu profonde, un peu pénétrante sans peindre le vice, pour le rendre odieux, sans doute ; mais encore on le peint. Car il est difficile d’écrire l’histoire honnêtement sans peindre le crime et très souvent le crime triomphant, et sans doute pour déplorer qu’il triomphe, mais encore on le peint. Car il est difficile de tonner dans la chaire contre les vices que l’on veut détruire, sans en faire des peintures qui apprennent à certains auditeurs qu’il existe et de quelle façon il existe.

« Nous ne devons montrer que le bien » est d’une applica-