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Euripide : Ô Éther, dont je me nourris, ô Volubilité de la langue, ô Finesse, ô Flair subtil, accordez-moi d’écraser les argumens de mon adversaire.

Voilà, — j’en pourrais citer bien d’autres, mais ils ne seraient pas plus probans, — les textes d’Aristophane qui montrent que le grand comique a dénoncé formellement Euripide comme un contempteur des Dieux.

Mais est-ce qu’Aristophane ne donnait pas ainsi des verges pour le frapper lui-même ?

Assurément ! Exactement comme tout à l’heure et peut-être un peu plus. Si quand il fait dire à Eschyle : « Nous ne devons montrer que le bien, » il provoque cette apostrophe : « Eh bien ! Et vous, Aristophane, est-ce que vous ne montrez que le bien ? » tout de même et peut-être davantage, quand il reproche à Euripide d’avoir avili les Dieux, il suggère naturellement cette reconvention : « Et vous, Aristophane, ne les avez-vous pas ridiculisés ? »

Je crois qu’Aristophane pense échapper à l’argument reconventionnel parce qu’il est poète comique et en se couvrant de son rôme de poète comique. Il peut dire : « C’est très différent. Moi, je ne suis pas sérieux. Il y a une convention sur laquelle repose tout le théâtre comique ; cest que la comédie se moque de tout et même des choses les plus respectables, sans que cela tire à conséquence. Il s’agit de rire. Je puis sinon me moquer de la morale, ce que je n’ai jamais fait, du moins présenter des immoralités sur le théâtre sans rien corrompre ni sans corrompre personne, parce que personne ne me prend au sérieux. Je puis me moquer des Dieux sans être un moment soupçonné d’être un professeur d’impiété, parce que personne ne va s’imaginer qu’un poète comique est un professeur. Le poète tragique, au contraire, est, lui, un auteur sérieux, qui, en cette qualité, sera toujours pris pour un éducateur. C’est de lui, comme d’un poète didactique, comme d’un poète épique, du reste, mais c’est particulièrement de lui qu’Eschyle dit : « Nous ne devons montrer que le bien. » Nous, c’est-à-dire moi, Sophocle et vous, Euripide. Cela est clair. »

Cela est clair en effet, mais bien contestable. Toutes les fois qu’on parle au peuple, que ce soil en riant ou en pleurant, ou d’un air grave, on est, quoi qu’on en ait et quoi qu’on en dise, un homme qui répand des idées et qui est responsable des