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idées qu’il répand. Cela est si vrai qu’Aristophane a passé sa vie à répandre les idées qui lui étaient chères.

Or, c’est là le point, et sinon le point important, du moins le point sensible, c’est là le vrai argument ad hominem, quelle autorité peuvent avoir les vives exhortations d’Aristophane en faveur des vieilles bonnes mœurs et des vieilles vertus, après qu’il s’est couvert, ou s’il est vrai qu’il se couvre, de son titre de poète comique pour interdire qu’on prenne au sérieux ce qu’il dit ? Et s’il ne s’en couvre pas, il n’a plus le droit de reprocher au poète tragique de prendre les libertés dont lui, poète comique, se permet d’user.

C’est bien ce qu’a compris Bossuet dans sa charge de grosse cavalerie contre Molière. Délibérément, il n’a tenu absolument aucun compte de ceci que Molière était un poète comique ; il l’a traité exactement comme s’il eût été un poète épique, un poète tragique, un poète didactique ou même un sermonnaire. Il lui a dit : Vous êtes un homme qui censure ; je ne vois pas autre chose ; or que censurez-vous ? Les vices, jamais ; les travers, toujours. Cette indulgence ici et cette sévérité là, sont immorales et scandaleuses. Quand on se mêle de tonner, il faut tonner contre ce qui mérite la foudre.

Il y a du vrai, on ne peut pas dire tout à fait le contraire. Surtout ce qui eût été un peu divertissant, c’eût été Molière blâmant sévèrement Racine de présenter aux peuples des spectacles licencieux et corrupteurs. C’eût été Molière reprochant à Racine d’avoir montré un ambassadeur tuant, pour une femme, le roi auprès de qui il est envoyé en ambassade ; d’avoir montré les débordemens perfides, parjures et criminels d’une sultane favorite et d’avoir apitoyé un public sur une femme amoureuse de son beau-fils et qui le fait périr pour avoir été dédaignée de lui. Et, c’eût été Molière s’écriant : « Tout cela est abominable. Nous ne devons montrer que le bien. »

Or c’est précisément ce que fait Aristophane à l’égard d’Euripide, avec cette différence qu’Aristophane est beaucoup plus, je ne flirai pas immoral, parce que le mot ne serait pas très juste ; mais beaucoup plus scandaleux que Molière, réformateur de la scène au point de vue de la décence.

Telle fut la querelle entre Aristophane et Euripide ; tels en furent, du moins, les traits essentiels. Comme je l’ai dit au commencement, ils étaient d’accord au fond, et ils ne dilTéraient