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menace réellement et ont des phobies ridicules de choses insignifiantes. Ils ont des manies, des tics psychiques. Négateurs de toute religion, ils ont souvent mille superstitions, reçoivent volontiers les conseils des esprits par l’intermédiaire d’un pied de table, ou font une prière avant d’aller commettre un crime.

La débilité de la volonté est ce qui domine le plus leur existence. Ceci éclate dans tous leurs actes.

Dans la vie normale, nos décisions sont ordinairement le résultat d’un jugement, plus ou moins rapidement porté par l’esprit, après examen comparatif et raisonné des divers motifs et mobiles ; dans cette décision apparaît la force de volonté du sujet.

Chez nos demi-fous, cette force de volonté est nulle ou très faible ; ce qui ne les empêche pas d’être têtus. Ils ne savent pas ce qu’ils veulent, mais ils le veulent bien ; ou plutôt, ils veulent avec obstination ce que leur a suggéré la plus récente et la plus insignifiante impression, ce que le dernier conseil leur a inspiré, ce que l’instinct ou le besoin actuel les incite à faire. Personnellement, ils ne discutent pas, n’essaient pas de contre-balancer les tentations et les insinuations du mal par une force personnelle de volonté.

D’ailleurs, non seulement ils n’ont aucun principe religieux élevé et réel ; mais ils n’ont même aucun principe de morale naturelle : ce sont des amoraux ou, comme on l’a dit, des « invalides moraux. »

Ils hésitent avant de voler ou de tuer parce qu’ils ont peur d’être découverts et mis en prison ; ils délibèrent sur les précautions à prendre pour éviter le gendarme et le bagne ou la guillotine. Mais l’idée du préjudice causé à autrui ou du mal en soi n’a aucune prise sur eux : un crime, resté caché et impuni, n’est pas un crime à leurs yeux. Et comme, au moment de commettre un crime, on espère toujours avoir assez bien arrangé les choses pour échapper à la justice humaine, il n’y a plus, chez les demi-fous, aucun motif de ne pas le commettre.

J’insiste sur ce point, — sur lequel je reviendrai dans la seconde partie de cet article, — que les sujets comprennent le gendarme et la prison. Ils savent si, au moment présent, on guillotine ou si on gracie les assassins ; ils savent qu’on est bien logé à la prison de Fresnes et qu’on peut se marier à la Guyane…