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contre toutes les nuances de la responsabilité que l’on peut découvrir dans un homme sain ou malade, nous nous trouverons d’accord avec les bûcherons sociaux, avec les magistrats, sur la nécessité d’enlever l’homme et d’en débarrasser à jamais la société… Ne parlons même pas de crime, parlons de danger… L’idée de crime est une idée métaphysique ; l’idée de danger est une idée sociale. Les opinions de MM. Baudin. Faguet, de Fleury, qui effraient M. Grasset, sont en principe fort acceptables… Il y a d’un côté les assassins et de l’autre les assassinés. Que m’importe que celui qui me cassera la tête soit un apache ou un fou furieux ? Ce qui m’importe, c’est de vivre. J’ai grand-pitié des malades, mais je prie qu’on enferme soigneusement ceux qui sont en état de fièvre chaude. »


Je n’ai pas cherché à dissimuler la manière de voir opposée à la mienne, ni à amoindrir la valeur des hommes qui la défendent. Mais je me permets de maintenir, contre de telles autorités, l’opinion du médecin pitoyable qui ne peut pas se désintéresser et qui ne comprend pas que la société puisse se désintéresser du malade, même quand celui-ci est nuisible, dangereux, même quand sa maladie est d’assassiner.

Je ne referai pas d’ailleurs, ici, le plaidoyer que j’ai fait si souvent déjà, et si vainement d’ailleurs. Mais je peux bien répéter que si l’un de mes lecteurs était, un jour, blessé par un criminel, je suis sûr qu’il ne resterait pas indifférent, et que, si cela arrivait à M. Remy de Gourmont, l’éminent psychologue ne resterait pas indifférent à la question de savoir si son assassin était un apache ou un fou et ne demanderait pas la même peine dans les deux cas. Je suis certain que tous demanderaient la guillotine pour l’apache et l’asile pour le fou.

Je suis également certain que mes lecteurs ne pensent pas comme mon spirituel confrère, M. Maurice de Fleury, et qu’au contraire tout en eux se révolte à la pensée que la société pourrait faire disparaître un fou dangereux, alors même que le procédé d’exécution serait rapide et élégant.

Qui voudrait sérieusement admettre la comparaison du criminel avec le chien enragé ? Oui ; quand un chien est enragé, on le tue ; tandis que, quand un homme est enragé, on le soigne, même s’il a déjà mordu et au risque de se faire mordre soi-même.