Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 3.djvu/937

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Dans la troupe actuelle de la Comédie-Française, je ne vois pas qui eût pu tirer quelque parti de ce rôle. M. Berr, peut-être ; sûrement pas M. Silvain, à qui nuisent ici ses qualités autant que ses défauts. Triboulet est un avorton à langue de vipère. M. Silvain est plutôt bel homme et son physique même annonce tout de suite un personnage sérieux, grave, et de poids. On n’est pas préparé à le voir agiter les grelots de la folie. Il ne nous fait pas rire avec les pantalonnades du premier acte. Il ne réussit guère mieux dans les quatre actes de pathétique qu’il nous reste à subir. Il a résolu d’y mettre du naturel. Du naturel dans le drame romantique ! Il débite la scène de la malédiction d’un ton détaché, avec un air de n’y attacher aucune importance et de penser à autre chose. Il dit : « Ce vieillard m’a maudit, » comme on dirait : « Ne nous frappons pas ! » Nous constatons le peu de succès de son interprétation, sans d’ailleurs aucunement le lui reprocher, le rôle étant artificiel, arbitraire, incohérent, — un monstre. M. Fenoux est un François 1er sans élégance et sans prestige ; M. Mounet-Sully un Saint-Vallier plus ennuyé qu’indigné, M. Paul Monnet un Saltabadil plus correct que pittoresque… Mais à quoi bon continuer l’émunération ?


Pour terminer la saison théâtrale, et à la même époque où les Fresnay obtinrent, il y a trois ans, un brillant succès, voici une aimable pièce de M. Fernand Vandérem. Cher maître est une de ces comédies de demi-teinte et de demi-caractère que la Comédie-Française a semblé affectionner cette année, formant série avec Comme ils sont tous et les Marionnettes. Fort agréable d’ailleurs, elle plairait davantage encore, si le dessein de l’auteur y était plus net et son parti pris plus accusé. Mais il y a parfois de l’obscurité dans la psychologie des personnages et le genre même de l’ouvrage est un peu incertain.

M. Frédéric Ducrest, le « cher maître, » est un avocat célèbre. A quarante-cinq ans, il a trouvé le temps d’être bâtonnier de son ordre, député, garde des Sceaux, candidat à l’Académie Française, et d’avoir un nombre de maîtresses qu’il est aisé de calculer, chacune faisant exactement six mois. Sa profession d’avocat n’a d’ailleurs ici à peu près rien à faire. L’auteur n’a pas voulu peindre un milieu, mais des caractères. Ducrest pourrait être un artiste ou un littérateur en vogue : il n’y aurait rien de changé, même au titre de la pièce. Il suffit que le personnage soit envié, l’été, actif, riche, puissant, de ceux qui demandent beaucoup à la vie et en obtiennent tout ce qu’ils lui demandent. Ajoutez que cet homme est extrêmement égoïste, ce qui veut dire