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recule devant la grossièreté de ce moyen, qui, d’ailleurs, devient bientôt inutile. Car il faut finir. Amédée se trahit. Ducrest se sent encore un peu plus malheureux : il est désemparé, atteint jusque dans son activité professionnelle, prêt à renoncer au barreau. C’est alors Henriette qui le prend en pitié : de cet air indifférent qui est sa manière, elle congédie Amédée et rentre dans le devoir, comme on congédie son cocher pour rentrer chez soi. Et voilà des époux réconciliés. On a souvent envisagé les conséquences de l’adultère féminin : l’une d’elles est, paraît-il, de resserrer le lien conjugal.

Et maintenant, qu’est-ce que l’auteur a prétendu, sinon prouver, du moins indiquer ? A-t-il voulu dire qu’il y a des hommes faits pour le bonheur et le succès, mais dont toute l’assurance et même toute la supériorité s’effondre à la première difficulté ? Ces grands vainqueurs, fendans et fringans, s’embarrassent autant que nous, plus que nous, dans l’épreuve : le grand homme disparait, il ne reste qu’un pauvre homme. Peut-être. Toutefois, à la façon dont le personnage de Ducrest avait été posé au début, nous espérions que l’auteur en tirerait meilleur parti. Nous en attendions mieux. Nous attendions de lui un acte, un geste, un mot, qui auraient été l’acte, le geste, le mot pour lequel aurait été écrit le rôle. Vous connaissez ces gens dont le sourire promet toujours une malice qui ne vient jamais. On est déçu. Ou bien l’auteur a-t-il voulu tout bonnement nous faire le récit d’une aventure, nous conter sans plus l’histoire d’un ménage parisien, une histoire falote, incomplète et déconcertante, comme sont les histoires de la vie ? Peut-être encore. Mais la littérature a pour objet de mettre un peu d’ordre et de clarté dans le chaos du réel. Dans cette aventure de ménage, la figure de la femme est énigmatique, le personnage du mari est bruyant et inexistant.

Cher maître est fort bien joué. M. de Féraudy met dans le rôle de Ducrest toute sa verve et aussi toute son autorité. Il prête à cette baudruche l’apparence d’être quelqu’un. Mme Lara a montré beaucoup d’intelligence dans le rôle d’Henriette, et en a fait l’une de ses meilleures créations. M. Guilhène a bien rendu les deux aspects du rôle d’Amédée, celui de passion sincère et celui de niaiserie. Mme Robinne et quelques autres complètent un excellent ensemble.


RENE DOUMIC.