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Celui-là vit heureux et libre d’épouvante,
Car il porte en vivant la certitude en lui !


Cette « épouvante » grandira chez le poète à mesure que se précisera pour lui la certitude de la mort prochaine. Les cris, qui, à cette minute, lui jaillissent de l’âme éveillent chez le lecteur une émotion d’une qualité particulière, car si cet épris de bonheur accepte, en pleine jeunesse, de renoncer à la vie, pour ne pas tomber dans le désespoir, il a besoin de croire à la vie éternelle :


Où puiser un espoir dont la ferveur enivre ?
… De quelle foi nourrir cette âme faible à l’heure
Où fléchit le plus fier, où le plus viril pleure ?
… Ah ! Seigneur, Dieu des cœurs robustes, répondez,
Quel est ce temps de doute où l’homme joue aux dés
Ses croyances ?…


Envahi par un sentiment cette fois vraiment chrétien, il s’avise que la prière n’est rien sans les œuvres ; il rêve un prolongement de vie où, éclairé sur la raison d’être de l’existence, il fera un emploi meilleur des trésors de son énergie, de la pensée et de l’amour :


… Être bon, être pur, être grand, être un homme
Que le seul bruit du bien qu’il a semé renomme,
Entrer comme un rayon d’azur dans les taudis,
Remplir d’amour le cœur âpre et sec des maudits,
Visiter les chevets et les âmes sans joie.
Dire : « Croyez en Dieu, car c’est lui qui m’envoie, »
Se sentir chaque soir plus paisible et meilleur…
Ce rêve d’une fin de nuit d’avril, Seigneur,
Ne sera-ce qu’un rêve encore après tant d’autres ?
Ou compterai-je un jour au nombre des apôtres
Qui, satisfaits d’avoir accompli leur destin,
Meurent les yeux ouverts sur l’éternel matin ?


Il sent monter en soi une pitié infinie et délicate pour les anciennes « maîtresses de son désir » en qui, autrefois, il ne cherchait qu’à éveiller la volupté et qui, à cette heure, s’émeuvent à la vue de sa jeunesse inclinée vers le tombeau :


Ô tendres femmes que l’automne
Glace et brise comme les fleurs.
Vers ces bois demain sans couronne
Levez des yeux libres de pleurs :