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Mon Dieu, peut-être que je croirai en vous davantage
Si vous m’enlevez du cœur ce que j’y ai,
Et qui ressemble à du ciel roux avant l’orage.


À cette minute de sa vie, M. Francis Jammes ne s’embarrasse pas des prescriptions des religions. Il fait le compte des élans qui surgissent en lui, il se sent bon, traditionnel, résigné à tout ce qui est naturel. Il vit dans un doux contentement de soi, dans une confiance en Dieu qui est singulièrement éloignée des tourmens et des scrupules d’un Guérin :

« Mon Dieu ! s’écrie-t-il, vous m’avez appelé parmi les hommes. Me voici. Je souffre et j’aime. J’ai parlé avec la voix que vous m’avez donnée. J’ai écrit avec les mots que vous avez enseignés à ma mère et à mon père qui me les ont transmis. Je passe sur la route comme un âne chargé dont rient les enfans et qui baisse la tête. Je m’en irai où vous voudrez, quand vous voudrez : l’Angelus sonne. »

Mais ce n’est pas vainement que, de sa jeunesse à sa maturité, on écoute, dans le grand silence de la campagne, sonner les Angélus du matin et du soir. Tandis que l’homme s’avise que sa vie lui échappe, le désir s’aiguise chaque jour en lui de ressaisir, dans le passé, les sentimens des siens qui, avant lui, supportèrent l’existence ; il constate qu’il n’a trouvé nulle solution nouvelle au problème des origines et des fins de la vie ; il en vient à regretter les solutions ingénues que de chers aïeux donnaient aux mêmes inquiétudes. Pour qu’un tel regret descende du cerveau dans le cœur, il suffit de l’émotion d’une fête religieuse, de la première communion d’une fillette agenouillée dans la mousseline au milieu du chœur d’une église de campagne.

Aux minutes où l’on est le plus maître de soi, on s’avise, qu’à l’ancien désir de posséder et d’aimer succède, lentement, le besoin de connaître. On rêve d’atteindre la cause première, derrière tant de causes secondes. On veut préciser le sens de cette présence immense et indulgente de Dieu que l’on sent dans les plus petites formes comme dans les plus humbles gestes. On a assez lu les philosophes pour savoir qu’ils ne sont, en cette occasion, que des jardiniers d’incertitude. Alors, lorsqu’on a l’âme d’un Francis Jammes, on se sent pris de l’irrésistible désir d’aller s’asseoir sur le banc du dogme à côté des marguilliers de