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les envoyés du Roi. La Cour, réunie au château, attendait impatiemment son arrivée.

Brantôme, dans sa Vie de César Borgia, a raconté en détail cette fameuse entrée du Valentinois à Chinon. « J’en ai trouvé, dit-il, et vu le discours dans le trésor de notre maison assez bien écrit, et en rime telle quelle pour ce vieux temps et assez grossière ; et pour ce, je ne m’en suis ici voulu aider, car elle pourrait importuner le lecteur, mais je l’ai mise en prose au plus net et clair langage. » Ce curieux récit a été publié bien des fois. Il est nécessaire de le reproduire ici une fois encore, car seul il peut donner idée du luxe prodigieux de la cour pontificale à cette époque : « Le duc de Valentinois entra ainsi le mercredi, dix-huitième jour de décembre, mil quatre cent quatre-vingt-dix-huit. Premièrement, marchaient devant lui M. le cardinal de Rouen, M. de Ravestein, M. le Sénéchal de Toulouse, M. de Clermont, accompagnés de plusieurs seigneurs et gentilshommes de la Cour jusques au bout du pont pour lui faire compagnie à son entrée ; devant lui il y avait vingt-quatre mulets fort beaux, chargés de bahuts, coffres et bouges[1], couverts de couvertures avec les écussons et armes dudit duc ; après encore venaient vingt-quatre autres mulets avec des couvertures rouge et jaune mi-parti, car ils portaient la livrée du Roi, qui était jaune et rouge… Puis après suivaient douze mulets avec des couvertures jaunes de satin barrées tout à travers. Puis venaient dix mulets ayant des couvertures de drap d’or, dont l’une barre était de drap d’or frisé et l’autre ras : qui font en tout soixante et dix par compte. Quand tous les mulets furent entrés dans la ville ils montèrent tous au château.

« Et après vinrent seize beaux grands coursiers, lesquels on tenait en mains, couverts de drap d’or rouge et jaune, ayant leurs brides à la genette et à la coutume du pays. item après cela venaient dix-huit pages, chacun sur un beau coursier : dont les seize étaient vêtus de velours cramoisi, et les deux autres de drap d’or frisé. Pensez que c’étaient, disait le monde, ses deux mignons, pour être ainsi plus braves que les autres. De plus, par six laquais étaient menées, comme de ce temps on en usait fort, six belles mules, richement enharnachées de selles,

  1. Vieux mot français pour « bourse. »