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ne devait jamais la revoir et la mélancolique destinée de la charmante princesse allait se dérouler d’abord loin de lui, et puis, dans le veuvage, quinze années encore avant qu’une fin solitaire ne vint mettre un terme à sa solitaire existence.

Sur le point de quitter sa dolente épouse qu’il aimait certainement alors, César voulant régler ses affaires au moment, de ce départ qui s’annonçait gros de périls accumulés, donna à Charlotte sa procuration générale en date du 8 septembre 1499 pour « régir et gouverner ses terres, comté et duché de Valentinois et de Diois et autres ses terres, seigneuries et chevances, étant tant au royaume de France que Dauphiné. » Par un autre acte daté du même jour, il faisait par avance donation à la princesse « de tous et chacun des meubles qu’il aurait au jour et heure de son trépas. » Ce témoignage éclatant, dit M. Bonnaffé, « atteste tout au moins l’union qui régnait entre les deux époux et la confiance que César avait dans l’intelligence et le bon esprit de sa jeune femme. » Il la quitta pour toujours presque aussitôt après et partit avec le Roi pour l’Italie à la tête de deux mille chevaux et de six mille fantassins.

Les plus grands événemens se préparaient. Les traités dont Charlotte d’Albret était un des prix, signés entre le roi de France et le Pape, puis entre le roi de France et Venise, allaient préparer la conquête du Milanais et la marche sur Naples. Dès le 9 septembre, on apprenait soudain au Vatican les victoires des troupes françaises commandées par Jacques Trivulce, dit « le grand Trivulce, » Louis de Ligny et le comte d’Aubigny, la prise par elles d’Alexandrie, de Tortone, puis la fuite de Ludovic le More et la prise de Milan. Louis XII était à ce moment à Lyon, d’où il veillait aux préparatifs. César Borgia était auprès de lui.

Nous ne suivrons pas César dans sa courte, brutale et tragique destinée que tous connaissent. Il suffira de rappeler qu’après la complète des Romagnes et les jours de gloire et de triomphe marqués par tant de violences et de crimes, les mauvais jours arrivèrent vite pour le terrible condottiere. Alexandre VI meurt presque subitement dès le 18 août 1503. Son successeur, Pie III Piccolomini, protège César harcelé par mille ennemis, mais il meurt à son tour subitement le 17 octobre, après vingt-sept jours de pontificat seulement. Alors les événemens se précipitent pour le Borgia. Il abandonne Rome après