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LA VOCATION PAYSANNE ET L’ÉCOLE.

fond des choses pour en saisir les moindres détours, lue méthode se juge à ses résultats comme un arbre à ses fruits. Quand les fruits sont mauvais ou médiocres, on arrache l’arbre ou on le greffe. Il ne s’agit pas de sacrifier le rationalisme, une des gloires de l’esprit français, mais il pourrait recevoir avec profit le bienfait de quelques sèves différentes.

C’est surtout en ce qui touche l’enfant que la méthode doit être sans cesse minutieusement vérifiée et mise au point : dans un pays où la crise morale est « grande pitié, » à qui penser, sinon aux jeunes ? Ils sont l’avenir mystérieux, que bien des facteurs, étrangers à nous et même inaccessibles, détermineront, sur lequel cependant nous ne sommes pas sans action, et que de fait nous préparons tous les jours en pétrissant la pâte molle de leurs âmes. Devant eux il faut se poser la grave et troublante question, que les médecins connaissent bien, qu’ils se posent sans cesse, qui est leur tourment et leur honneur : faisons-nous ce qu’il faut faire et faisons-nous bien tout ce que nous croyons devoir faire ? Elle se pose ici précise, impérieuse, obsédante quand, au détour du petit chemin, devant le champ en friche et la maison abandonnée, on rencontre, au lieu de la bande joyeuse d’autrefois, quelque écolier solitaire, cheminant d’un pas distrait vers l’école.

C’est en effet à l’école que nous sommes directement conduit, et notre première pensée est d’y suivre la vocation naissante pour la terre que le petit paysan y apporte chaque matin. Cette vocation mérite beaucoup d’égards, de minutieuses précautions, toute une culture morale fine et délicate, un véritable effort éducateur qui ne peut réussir qu’en s’appuyant sur une psychologie vraie. On n’a que faire ici d’une psychologie générale, superficielle, conventionnelle, rationnelle, comme il nous semble qu’elle l’est trop souvent ; il nous faut une connaissance approfondie de l’âme, telle que le passé nous l’a léguée, telle qu’elle vit et réagit dans le milieu qui pèse sur elle et la travaille de mille manières. Il nous faut la voir aux prises avec l’enseignement qu’elle reçoit, ce qui est une affaire capitale, telle qu’on la trouve peut-être ailleurs, telle qu’elle est exactement, ici même, en Gascogne, dans notre village, sous nos yeux. Nous offrons à l’école le peu que nous savons, quelques renseignemens sur l’écolier et l’âme paysanne. Aucun d’eux n’a été puisé dans les livres.