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LA VOCATION PAYSANNE ET L’ÉCOLE.

l’enseignement théorique de ce métier suffisent à donner la vocation. Celle de nos futurs officiers ne vient pas de l’étendue des connaissances scientifiques qu’on leur impose. Ce n’est pas en faisant de l’algèbre, de la physique et de la chimie qu’on devient artilleur et marin « dans l’âme. » Ce ne sont pas toujours ceux qui y réussissent le mieux qui plus tard auront le plus de feu sacré à la tête d’une batterie ou sur la passerelle d’un cuirassé. N’a-t-on pas remarqué que les vocations sont moins solides, les démissions plus fréquentes dans la marine depuis qu’on a étendu et surchargé les programmes de l’École navale ? Le caractère général et élevé des études y fait naître facilement l’idée d’une autre carrière, et on surprend, paraît-il, des premiers de promotion qui rêvent d’être dramaturges ou chefs d’usine.

Nous sommes à l’école du village et nous n’entendons pas comparer des choses qui ne sont pas comparables. Mais on reste frappé de la similitude de certains faits. Il est sans doute des distances sociales que la psychologie ne connaît pas. Nos meilleurs écoliers, ceux qui en agriculture se montrent supérieurs aux examens, sont les plus disposés à déserter le métier familial. Leur culture scientifique, pourtant si rudimentaire, fait naître en eux des rêves inattendus. L’an dernier, la Société d’agriculture du Lot-et-Garonne a distribué solennellement des prix aux écoliers du département qui s’étaient fait remarquer en agriculture : nous avons constaté que certains lauréats voyaient dans leur succès la justification d’ambitions nouvelles, très éloignées de la terre. Cette année, dans une école primaire supérieure, les deux premiers de la section d’agriculture, après avoir brillamment passé leurs examens, ont demandé de rentrer pour préparer l’un les contributions indirectes, l’autre la Banque de France. « Voilà mon fils, — disait un paysan que nous connaissons à un directeur d’école primaire supérieure, son ami, — apprends-lui tout ce que tu voudras en agriculture, et le plus sera sans doute le mieux, mais rends-le-moi décidé à labourer. » Au bout de deux ans, le directeur engagea le père à retirer son enfant, qui était un excellent élève, sentant que, s’il le gardait plus longtemps, la vocation risquerait d’être compromise.

Les succès scolaires provoquent chez les petits paysans une véritable griserie, que les parens partagent presque toujours,