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LA VOCATION PAYSANNE ET L’ÉCOLE.

pas alors à la petite école les lois de la capillarité, mais on savait tout de même que défonçage et binage valent bien des arrosages.

Voici des enfans très fixés sur les différens types de terrains dont on leur a appris les noms scientifiques. Demandons-leur s’il est possible de reconnaître la nature d’une terre sans la voir. La question les ahurit d’abord et ils finissent par croire qu’on se moque deux. Leurs grands-pères, moins embarrassés, nous auraient répondu par le conte de l’aveugle qu’ils avaient entendu bien des fois :

Il était une fois un aveugle dont le fils voulait acheter deux champs, l’un pour semer du chanvre, l’autre pour planter une vigne. L’aveugle dit à son fils : « Ne conclus pas le marché avant que je n’aie vu la terre des deux champs ; demain je monterai sur l’âne et tu m’y conduiras. » Cependant le fils se disait tout bas : « Comment mon père verra-t-il la terre des deux champs puisqu’il est aveugle ? »

Le lendemain, quand on fut arrivé au premier champ, le père dit à son fils : « Attache l’âne à un pied de yèble, de peur qu’il ne s’échappe, » et le fils répondit : « Père, je n’en vois pas. »

Au second champ, l’aveugle dit à son fils : « Ramasse des fleurs de genêts pour faire de la tisane à la vache qui est échauffée, » et le fils répondit : « Père, je n’en vois pas. » — « Emportons au moins un bouquet de fougère qui, suspendu au plancher, permettra le soir la capture des mouches. » Mais le fils répondit : « Il n’y a pas de fougère dans le champ. »

« Rentrons à la maison, dit l’aveugle, et n’achète pas ces champs qui seraient notre ruine, car le premier n’est pas bon pour le chanvre, ni le second pour la vigne puisque le yèble, les genêts et la fougère n’y croissent pas spontanément. »

L’école doit rester en contact intime avec la réalité de la vie paysanne qui l’entoure, et son enseignement changera de caractère selon que dans le pays l’homme est forestier, vigneron, ou semeur de blé. Les entretiens journaliers suivront pas à pas les travaux de la saison, — le conseil en a été déjà donné[1], — afin que la leçon soit plus intéressante, plus pratique, plus saisissable. Le maître y verra surtout l’occasion de marquer à l’écolier qu’il partage ; les préoccupations de ses parens, qu’il se

  1. Circulaire du 4 janvier 1897.