Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 10.djvu/231

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

jambe. Elle répondit sans embarras ni pruderie à ce madrigal, tout en s’empressant de plier le genou pour que sa robe devint moins indiscrète. Puis, la conversation ainsi engagée sur le mode plaisant, elle se tourna vers Glück et s’enhardit jusqu’à lui dire : « J’ai une prière à vous adresser. Chez nous, au quatrième étage, habite un petit poète qui souhaiterait bien ardemment obtenir l’honneur de travailler pour vous et qui s’en acquitterait fort habilement, j’en suis sûre. — C’est bien, répondit Glück. Envoyez-le-moi dès demain. Je l’interrogerai et, s’il me plait, je lui donnerai de l’ouvrage. » C’est ainsi que naquit le célèbre couplet : J’ai perdu mon Eurydice, et que le librettiste d’Orphée, Moline, connut la notoriété par sa collaboration à l’opéra toujours jeune. « Vous pouvez dire ce que vous voudrez, répondait Glück quand on s’étonnait autour de lui de son choix, mais je n’ai nul besoin de vos beaux phraseurs à prétentions littéraires et m’accommode beaucoup mieux du petit poète de la tapissière qui fait tout ce que je lui dis sans broncher. » Le geste n’est-il pas charmant de cette Parisienne accorte, à la langue preste et à l’esprit avisé ?

Mannlich ne revit jamais Paris après la mort du duc Christian IV qui survint l’année suivante. Il fut correspondant de l’Institut de France et termina ses jours en 1822 après avoir été longtemps le directeur général des musées et collections de la couronne bavaroise, collections qu’il lui fallut défendre de son mieux après les victoires napoléoniennes contre les convoitises artistiques de son toujours sémillant contemporain, Vivant-Denon. Il dut les honneurs de sa vieillesse à cette circonstance qu’il avait pour ainsi dire bercé sur ses genoux l’enfance du premier roi de Bavière, et nous prendrons congé de lui sur l’anecdote, de style bien Louis XV elle aussi, qu’il aimait raconter à ce propos. Lorsqu’il commençait ses études d’art à Mannheim en 1762, il se trouvait chargé tous les jours pendant quelques heures de la surveillance du petit prince Max, alors âgé de six ans. En effet, le sous-gouverneur de l’enfant, désireux de se relâcher pour quelques momens d’une absorbante surveillance, le confiait au jeune artiste qui l’amusait alors en le taisant dessiner sur une petite table à côté de son chevalet.

Ces séances avaient lieu régulièrement de une heure à trois. Or certain jour que Mannlich se hâtait vers son atelier après son repas de midi, il passa sous la fenêtre d’une des plus jolies