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plus de mesure dans ses jugemens écrits qu’il se savait étroitement surveillé par la police impériale, que ses lettres étaient régulièrement décachetées avant d’arriver à destination et qu’il ne voulait compromettre personne. Un jour vint cependant où une provocation directe le fit sortir de sa réserve. Le prince Napoléon, l’enfant terrible de son parti et de sa famille, avait prononcé au Sénat un discours retentissant où il prenait à partie la branche aînée et la branche cadette de la Maison de France, où il établissait entre les Napoléon et les Bourbons un parallèle injurieux pour ceux-ci. L’Empereur, qui avait plus d’une fois gémi des frasques de son cousin, applaudissait cette fois et le ministre de l’Intérieur faisait afficher le discours dans toutes les communes. Le gouvernement impérial semblait ainsi désigner la Maison de France au mépris des populations. Le Duc d’Aumale, indigné de cet abus de la force, de cette insulte gratuite adressée par des vainqueurs tout-puissans a des vaincus exilés, releva le gant au nom de tous les siens. Sous un titre modeste, destiné à tromper la police, il écrivit les pages admirables qu’il intitula simplement Lettre sur l’Histoire de France et qui produisirent dans toute l’Europe une impression profonde.

Dans l’introduction qu’il a mise en tête du troisième volume de la Correspondance, M. Vallery-Radot raconte fort spirituellement à la suite de quelles circonstances ce formidable écrit pénétra en France et y fut répandu par milliers d’exemplaires, avant même que le gouvernement eût pu prendre les mesures nécessaires pour en empêcher la diffusion. J’ai suivi moi-même de très près cette opération délicate, j’ai vu avec quelle dextérité manœuvrait mon excellent ami, le comte d’Haussonville, le plus habile et le plus entreprenant des chefs de l’opposition. D’une bonne humeur inaltérable, toujours prêt à servir la cause de la liberté, ne plaignant ni ses peines, ni son argent, il aurait été surpris, presque mécontent qu’on ne lui confiât pas les missions les plus difficiles à remplir. Le Duc d’Aumale, qui connaissait ses qualités et son dévouement, l’avait choisi comme l’homme le plus propre à accomplir ce tour de force : quoiqu’il fût interdit de rien publier sans l’autorisation du gouvernement, trouver en France un imprimeur et un éditeur assez courageux pour publier l’acte d’accusation le plus véhément et le mieux motivé qui eût paru contre le régime impérial. Le manuscrit,