Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 10.djvu/305

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cas particulier peut recevoir une application générale, le duc d’Aumale n’avait fait que se confirmer dans ce sentiment au contact de ses amis d’Angleterre. Se sachant traqué et poursuivi, il était résolu à se servir de toutes les armes que les lois de son pays mettaient à sa disposition. Il écrivait en ce sens à son conseil : « Sommations à l’éditeur, sommations au préfet, porter la question devant les tribunaux ordinaires, la soutenir devant toutes les juridictions et a tous les degrés : voilà ce qui nous reste à faire et je n’ai pas d’autre instruction à vous donner. »

La lutte judiciaire et administrative devait durer six années. Elle commença en 1863 par une admirable plaidoirie de Dufaure. « J’ai entre les mains le volume que vous avez pris, disait-il, je l’ai lu en entier. C’est l’œuvre d’un homme qui sait écrire notre langue avec élégance et sévérité, qui a fait de savantes recherches et qui possède les archives les plus précieuses sur le sujet qu’il a traité. Mais dans ce volume pas un mot, vous entendez, pas un mot qui ait trait, même indirectement, à la politique. L’auteur a poussé sur ce point le scrupule jusqu’à s’interdire le XVIIIe siècle, pour n’être pas tenté par elle. Son ouvrage s’arrêtera à la mort du vainqueur de Rocroi. »

Dufaure avait raison, le Duc d’Aumale n’avait aucune intention de mêler la politique à l’œuvre d’histoire qu’il entreprenait. Il ne poursuivait que la vérité historique. Il apportait à son travail tous les scrupules de l’historien le plus consciencieux, la recherche des documens authentiques, le soin du détail et le souci de ne s’élever aux considérations générales qu’après avoir solidement assuré le terrain sous ses pas. Un des moyens d’information auquel il attache le plus d’importance est la visite des champs de bataille. Ceux de France lui sont interdits ; mais partout où il peut pénétrer, il observe et il étudie. Une des lettres les plus émouvantes qu’il adresse à Cuvillier-Fleury contient le récit d’une station faite par lui auprès du tombeau de Turenne. « Je viens de fouler le petit coin de terre que Turenne a couvert de son corps quand il tomba raide mort aux pieds de son cheval La Pie…. Le monument est bien. L’inscription surtout me touche : « La France à Turenne. » Et de l’autre côté : « Arras, Les Dunes, Erzheim, Sinzheim, Turckheim. » Cela dit tout, c’est simple et grand. »