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au public le premier volume de cette Correspondance générale que nous n’étions pas seul à souhaiter, nous n’aurons pas trop de scrupules à les reprendre à notre tour : elles expriment tant bien que mal le sentiment que nous éprouvions alors, que beaucoup d’autres avant nous avaient éprouvé, à constater et à déplorer la fâcheuse, la singulière lacune que le nouvel éditeur s’est proposé de combler[1].

Car d’abord, c’est bien un véritable chef-d’œuvre que la Correspondance de Chateaubriand, un chef-d’œuvre qu’il nous faudra examiner d’ensemble, et tâcher de placer à son véritable rang, quand la publication en sera terminée. De cela, à vrai dire, nous étions déjà quelques-uns à nous douter. Des « chateaubriandistes » de profession, Edmond Biré, l’abbé Pailhès, René Kerviler l’avaient dit avant moi à plus d’une reprise. M. Lanson, juge difficile, et juge peu suspect d’un excès de tendresse à l’égard de Chateaubriand, essayant un jour d’évaluer « ce trésor épistolaire, » n’hésitait pas à déclarer qu’« en ce genre encore, Chateaubriand serait au premier rang. » Je crois pour ma part, et de plus en plus, — et si je l’ai déjà dit, je le répète, — que, de toutes les correspondances du XIXe siècle français, s’il en est une qu’on puisse, dans un genre d’ailleurs fort différent, comparer ou opposer à celle de Voltaire lui-même, c’est bien celle de l’auteur du Génie du Christianisme.

Je sais les différences. On ne saurait, certes, railler avec plus de finesse, conter ou discuter avec plus d’agrément, badiner avec plus de grâce, flatter avec une plus spirituelle légèreté que Voltaire dans les quelque dix mille lettres qu’il nous a laissées, et qui sont, à n’en pas douter, l’un des monumens les plus extraordinaires du génie français. Mais aussi on ne saurait mettre plus de hautaine éloquence, de mélancolie rêveuse, de poésie sombre, délicate ou ardente que Chateaubriand dans les pages qu’il adresse à ses nombreux amis. J’ouvre absolument au hasard le premier volume de cette Correspondance, et je tombe sur ces quelques lignes à Mme de Duras (18 juin 1813) :


J’ai bien des choses dans l’âme que je voudrais dire, mais je souffre tant, que j’ai peine à voir les mots que j’écris. Bonsoir, chère sœur ! Je vais me coucher avec votre pensée et le chant d’un rossignol qui revient chaque

  1. Correspondance générale de Chateaubriand, publiée avec Introduction, indication des sources, notes et tables doubles, par Louis Thomas, avec un portrait inédit, t. I. Paris, Champion, 1912 ; in-8.