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Dix-neuvième Siècle, ou encore l’admirable petit volume classique d’Extraits de Chateaubriand que nous devons à Brunetière.

C’est que M. Jules Lemaître a beau s’en défendre, — par ironie, ou par prudence ? — il n’aime pas Chateaubriand. Il n’aime en lui ni l’homme, ni le style, ni les idées. Et cela, certes, est son droit. Et ne dites pas : Pourquoi donc l’auteur des Contemporains, n’aimant pas l’auteur d’Atala, a-t-il voulu quand même parler de lui ? Car où en serait la critique, juste ciel ! si nous ne devions jamais parler que des auteurs que nous aimons ? Et ne dites même pas que M. Lemaître aurait dû faire effort pour sortir de soi, pour entrer dans une personnalité étrangère, pour tâcher de la voir telle qu’elle est, en elle-même, et pour lui rendre pleine et entière justice. Car d’abord, il n’est pas sûr qu’il eût intérêt à faire cet effort de sympathie critique, et vous connaissez de reste les objections de la critique impressionniste. Mais surtout, c’était son droit strict, et peut-être même son devoir de critique, — de critique impressionniste, — de ne pas abdiquer sa personnalité devant celle de Chateaubriand, de réagir au contraire vigoureusement contre elle, de heurter son tempérament propre contre un tempérament opposé, et de noter avec une franchise passionnée et même violente les impressions qu’il recevrait de ce contact. Bien loin, pour ma part, de reprocher à M. Jules Lemaître d’avoir fait cela, je lui reprocherais plutôt… de ne l’avoir pas fait assez, je veux dire avec assez de résolution, de continuité et d’audace, bref, et, en dépit de certaines vivacités et de certaines rudesses, d’être resté, encore et jusqu’au bout, « l’homme des coteaux modérés. » Il est vrai que c’était encore là une manière de marquer son opposition, et le fond intime, irréductible de sa véritable nature.

Mais, idéalement, on aurait pu souhaiter autre chose. « Pour avoir étalé l’adoration de soi aussi naïvement qu’un enfant ou une femme, écrit M. Jules Lemaître, cet homme d’un si grand génie nous donne à tous, si peu de chose que nous soyons, le droit de sourire. » Ce droit au sourire, M. Lemaître l’a exercé copieusement, pendant plus de trois cents pages, et je ne crois pas qu’aucun autre écrivain, aujourd’hui, aurait pu, aussi impunément, soutenir pareille gageure. Il a fait à Chateaubriand une petite guerre continue et sans merci d’épigrammes, d’ironies, de malices et de sourires. Il a, je crois bien, épuisé contre lui toutes les liée lies de son carquois. Avouerai-je qu’à cette guerre