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distinguer parmi la foule des dames de la Cour auxquelles il présentait plus ou moins ses hommages. Avoir captivé l’homme le plus beau et le plus aimable était bien une chose propre à flatter mon amour-propre. À cette époque, il ne s’occupait pas encore d’affaires politiques ; il était uniquement chargé d’organiser les fêtes de la Cour et il portait ses hommages à la beauté partout où il la trouvait. Cependant, quoique son penchant pour moi eut paru passager, l’impression en resta gravée dans mon cœur et ma fierté seule me fit paraître indifférente lorsque, au grand contentement du Roi, il épousa Mlle de la Gardie.

« … Déjà, quelques mois avant son mariage, le baron d’Armfeldt avait habité un appartement contigu au mien. Mlle de la Gardie sa fiancée se levait tard, tandis que je me levais de bonne heure. En l’attendant, il se mettait à sa fenêtre, moi à la mienne, et nous causions. Ma bonne humeur et mon état d’esprit lui plurent : il y avait tant de points de contact entre nous, dans notre manière d’envisager la vie et d’y réfléchir ! Je trouvais un vrai plaisir dans ces conversations matinales et nulle place dans la chambre ne me plaisait, autant que cette fenêtre et je crois bien qu’il en était de même pour lui, puisque, tant qu’il fut libre, il ne manqua pas une seule fois de venir ainsi causer avec moi. Son mariage mit fin à nos conversations et par la suite, lorsqu’il se trouvait en ma présence, il affectait beaucoup de réserve. Je n’en restai pas moins persuadée que je ne lui étais pas tout à fait indifférente et j’en ressentais une vive joie. Sans doute, ma raison, bien qu’égarée, me faisait comprendre la nécessité de cacher ce sentiment même à celui qui en était l’objet. Pensée téméraire ! Nos cœurs s’entendaient déjà. Un seul regard ne suffit-il pas pour révéler tout ce que la bouche n’ose avouer. »

Il résulte de ces citations que, lors du carrousel, Madeleine aimait déjà et espérait être aimée. Au surplus, c’est d’elle-même que nous en tenons l’aveu. Faisant allusion aux applaudissemens qui ont salué sa jeune beauté, elle écrit :

« Ce qui plus que toutes ces gentillesses me rendit heureuse, c’est l’impression que je fis sur le baron d’Armfeldt. Je jouis pleinement de ce triomphe. Sans doute j’eus tort, très tort de ne pas étouffer ce sentiment qui était criminel puisque l’homme qui l’inspirait n’était plus libre. Mais l’amour raisonne-t-il dans un cœur chaud et déchaîné ? Et les circonstances ne