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Les rapports entre époux se nouent et se caractérisent sous l’empire d’intérêts et de sentimens et, si c’est tantôt ceux-ci et tantôt ceux-là qui l’emportent, on peut dire qu’il n’y a pas d’union conjugale qui ne mette en jeu les uns et les autres. Ils se pénètrent et se balancent soit pour réaliser la belle définition de Modestin au Digeste : Nupliæ sunt conjunctio maris et feminæ et consortium omnis vitæ, divini et humant juris communicatio, soit pour composer, suivant l’expression de Nicolas Pasquier, « un mets difficile à cuire et à digérer, » soit plus souvent de façon à justifier la maxime de La Rochefoucauld : « Il y a de bons mariages, mais il n’y en a point de délicieux. » Nous avons déjà dit[1] comment les parties et la loi, à leur défaut, réglaient, à la veille de leur union, leurs intérêts matériels ; mais nous avons dû nous borner à des indications sommaires. Le moment est venu de définir avec plus de détail et d’ampleur la situation que les divers régimes matrimoniaux faisaient à la femme, et l’influence qu’ils exerçaient sur les relations conjugales qui relèvent de l’ordre moral.

Etienne Pasquier, dans une lettre au président Brisson, a opposé l’esprit et les dispositions du droit romain et de ce qu’il appelle le droit de la France, c’est-à-dire du droit coutumier, dans l’organisation de la propriété et de la famille. Le premier, d’après lui, s’est préoccupé surtout de la liberté individuelle, le second de la conservation de l’association familiale. On est tout d’abord tenté d’établir la même opposition entre la législation coutumière et celle qui se présente comme une adaptation de la loi romaine à notre pays. C’est par là qu’on expliquerait dans la première les privilèges de masculinité et de primogéniture, la défaveur du testament, la renonciation des filles aux successions paternelle et maternelle, le retrait lignager, la communauté entre époux ; dans la seconde, l’égalité des partages, la liberté et le devoir de tester, l’obligation de la dot, l’absence d’autorité maritale, le régime dotal. A ne tenir compte que des institutions respectives que nous venons d’énumérer, il n’y aurait pas eu moins de contraste entre ces deux législations que Pasquier n’en fait ressortir entre celle des Césars et celle de nos coutumes ; mais, si on examine comment ces institutions étaient appliquées, on constate que leur antinomie, pour réelle qu’elle

  1. Voyez la Revue du 1er janvier 1911.