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fût en théorie, était beaucoup moins rigoureuse dans la pratique. La liberté de tester, par exemple, est bien un droit individuel, mais il faut voir si l’usage qu’on en faisait dans les pays soumis à la tradition romaine ne servait pas à fortifier la famille. L’absence d’autorité maritale est bien favorable à l’émancipation de la femme et par suite à l’individualisme, à condition pourtant que celle-ci ne passera pas avec son mari sous la puissance des ascendans de ce dernier. La dotalité constitue bien un régime de séparation de biens et par là un nouveau gage donné à ce même individualisme ; mais elle tend, d’autre part, à la conservation des biens dans la famille et par suite à la stabilité de celle-ci. En d’autres termes, sans nous priver, pour saisir les conceptions et les tendances des deux systèmes juridiques qui ont régi fort inégalement notre pays, de la distinction lumineuse d’Etienne Pasquier, il faut naturellement juger ces deux systèmes moins par leurs principes abstraits que par les applications où les circonstances les ont conduits. C’est l’exposé des régimes matrimoniaux adoptés dans les diverses régions de l’ancienne France qui va faire ressortir leur esprit et leur effet sur la constitution juridique du mariage et de la famille.

La communauté de biens était le régime légal des pays coutumiers et celui qui obtenait, lorsqu’elles faisaient un contrat de mariage, la préférence des parties. Il n’y en a pas qui réponde mieux dans le règlement des intérêts à l’harmonie des affections et des volontés qui fait le caractère moral de l’union conjugale. Y avait-il eu un temps où, sous l’empire des idées chrétiennes, s’était réalisée dans la société de biens comme dans la société de vie qui constituent cette union, la belle conception d’une collaboratio faisant presque oublier l’inégalité des sexes ? Pourrait-on l’admettre sans s’exagérer l’efficacité d’un idéal aussi transcendant, sans méconnaître la force d’intérêts qui n’étaient pas moins âpres, de passions qui n’étaient pas moins vives au moyen âge que la foi religieuse et le respect de la femme étaient répandus ?… Quoi qu’il en soit, ce n’est pas à cette communauté-là que nous avons affaire. Celle dont Du Moulin et son école ont construit la théorie, celle que les habitudes et la jurisprudence ont fait passer dans la pratique, est une œuvre de défiance et de précaution qui distingue les personnes et les intérêts que la communauté du moyen âge