Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 10.djvu/413

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les circonstances qui la lui avaient value. Les contemporains nous la présentent comme une femme exempte de la coquetterie la plus légitime, d’une honnêteté inattaquable, d’une charité active, pieuse sans excès, d’une gaieté communicative, d’une verve naturelle, faisant des vers et même des tragédies sans prétention et surtout pour s’occuper, une femme virile, si l’on veut, mais sans avoir rien d’une virago, et elle serait restée une châtelaine plus passionnée qu’une autre pour le dressage des chevaux et pour la chasse si la nécessité de défendre ses terres contre les Français et leurs alliés, les Weimariens qui dévastaient la Lorraine, — elle était du Barrois, — si l’absence de soin mari qui servait sous les enseignes de son maître, le duc de Lorraine, ne l’avaient forcée à monter à cheval, à organiser la protection de ses propriétés et bientôt, par le goût qu’elle y prenait, par la confiance qu’elle inspirait, celle des biens de ses voisins. On pourrait multiplier de pareils exemples. Il en résulterait que, sous l’empire de circonstances qui faisaient sans cesse appel au sang-froid et au courage, le sexe faible s’était élevé au-dessus de lui-même. Comment cette communauté de dangers et d’intrépidité n’aurait-elle pas grandi son autorité dans la famille et dans le ménage ?

Il y a encore une chose qu’il ne faut pas oublier. C’est la liberté dont jouissait, par opposition à la surveillance jalouse dont la femme italienne et espagnole était l’objet, celle de notre pays, celle qui était mariée plus encore que la jeune fille. De cette façon de comprendre l’autorité maritale que nous avons déjà remarquée, que nous serons amené à remarquer encore, parce que c’est une vérité qui domine et éclaire bien des parties de notre sujet, nous ne donnerons ici d’autre preuve que le témoignage du père de Montaigne que nous venons d’invoquer sur un autre sujet. Aux traits de chasteté qu’il racontait à l’honneur de son temps, Pierre Eyquem mêlait le souvenir d’étranges privautés qu’on se permettait, qu’il s’était permises lui-même et qui ne faisaient aucun tort à la réputation de celles qui s’y prêtaient. À peine, ajoute-t-il, y avait-il dans toute une province une femme de qualité qui donnât à parler.

Protection légale des intérêts féminins dans le régime matrimonial des biens, relâchement des mœurs et ébranlement de la solidité de l’union conjugale à la suite des guerres civiles et assez longtemps après, prestige inattendu acquis par le sexe