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instrumens de recherche ; son âme d’ardent patriote resplendit à travers son œuvre sans nuire à sa probité de savant et à sa loyauté d’historien[1]. Son style est d’une élégance sobre et d’une souveraine clarté. Au point de vue philosophique, Palacky voit la loi de l’histoire dans l’antagonisme de deux forces agissant l’une sur l’autre. Tout progrès vient de leur lutte, comme dans la nature où ces deux forces se heurtent constamment, se pénètrent, se concilient et se repoussent pour recommencer sans cesse. Dans ses conclusions, Palacky est idéaliste : la force intellectuelle et morale est, pour lui, toujours victorieuse. Palacky est un historien de l’époque romantique : il est le Michelet de la Bohème.

Au cours de l’histoire de Bohème, il voit ce heurt des forces contraires dans le contact inévitable et les luttes perpétuelles des Slaves et des Germains. Ces rapports forment la trame fondamentale de l’histoire du peuple tchéco-morave. Mais loin de déplorer ce contact avec l’élément étranger, il le considère comme nécessaire, comme bienfaisant même. La décadence de la Bohême utraquiste, dans la seconde moitié du XVe siècle, est, à ses yeux, la conséquence de l’obstination du peuple à repousser l’influence de l’Occident : la Bohème resta trop figée dans son particularisme. Le contraste qui frappe entre le Slave et le Germain provient, d’après Palacky, de la différence du caractère et de la culture primitive de ces deux races : le Slave, doux, n’aimant pas la guerre, bon agriculteur ; le Germain, agressif, conquérant, envahissant. Dans l’ancienne communauté slave régnait l’égalité absolue ; la liberté et le droit étaient assurés à tous au même degré. En face de cette démocratie slave se dressait la société germanique, fondée sur le système hiérarchique : maîtres et esclaves ; privilèges et immunités d’un côté, servitude et défaut absolu de protection de l’autre. Ces théories, aujourd’hui vieillies, étaient alors en faveur.

Après s’être prodigué durant plus de cinquante ans au service de l’histoire, Palacky tâcha d’en dégager la vérité pour la faire pénétrer dans l’âme du peuple, qui avait besoin d’un tel appui moral dans la lutte engagée pour reconquérir son autonomie d’autrefois. Le vrai but que Palacky poursuivit en

  1. Ce fut notamment dans les polémiques qu’il fut obligé d’entamer avec quelques historiens allemands, surtout Hœfler, qu’éclata la grande érudition, l’impartialité et la probité morale de Palacky.