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l’aîné, le plus grand, celui qu’on oublie, et le plus jeune, Michel, celui qu’on ignore. MM. de Wyzewa et de Saint-Foix ont suivi leurs traces à tous deux à travers l’œuvre du jeune Mozart. Au terme d’une véritable étude consacrée à Michel Haydn, les biographes-critiques ne craignent pas d’écrire : « Il n’est pas douteux que jamais, durant toute sa vie, Mozart n’a rencontré un homme dont le génie fût si singulièrement proche du sien, ni dont l’œuvre dût exercer sur lui une influence à la fois aussi vive et aussi durable. Jusqu’au terme de sa carrière, l’auteur de la Flûte enchantée et de l’Ave verum est resté l’élève et l’imitateur du vieux Michel Haydn. » C’est beaucoup dire, pensera-t-on peut-être d’abord. Mais, la thèse aussitôt posée, il faudra bien lire les pages suivantes, se rendre à des argumens assez nombreux, assez forts, pour la démontrer et la soutenir.

Pourtant, sur le génie de Mozart le génie de Joseph Haydn ne devait guère avoir une action moins efficace que le génie de Michel. On sait quelle admiration réciproque, quelle tendresse, paternelle et filiale, unit toujours l’un à l’autre Haydn et Mozart. Chaque fois qu’il revint d’Italie, en 1771, 1772, 1773, à quinze, à seize, à dix-sept ans, Wolfgang fut pris et repris par l’influence de Haydn. Elle le rendait en quelque sorte à l’esprit allemand. La reprise de 1773, à Vienne, fut la plus forte. Haydn traversait alors une des époques de sa vie où il conçut la notion la plus haute de l’objet et du caractère de son art. Il régnait en maître sur le monde musical viennois. Mozart, le sensible et souple Mozart, ne tarda pas à se constituer son élève et son imitateur. Il reconnut aussitôt combien l’idéal de Haydn dépassait en grandeur, en dignité, l’idéal plus léger et plus menu que lui avaient offert les œuvres de l’école italienne de son temps. On aimerait suivre jusqu’au bout, et dans le détail, l’action et la réaction réciproque des deux génies, car il se lit dès lors entre eux de nobles et pieux échanges. Mozart ne devait pas être ingrat, et tout ce qu’adolescent, presque enfant encore, il avait reçu de Haydn, sa maturité le rendra plus tard à la vieillesse de son maître. Ainsi l’un et l’autre et l’un par l’autre, ces deux grands hommes furent plus grands tour à tour.

Il semble en vérité que tous les principes, tous les élémens de la beauté sonore épars en ce temps-là dans le monde, se soient réunis pour composer la perfection unique de Mozart. Avec sa grâce, avec son sourire d’enfant, il allait, dérobant à tous les peuples, à tous les maîtres, le secret de leur chant et de leur âme elle-même. Et tous ils se laissaient dépouiller, un peu surpris, mais bientôt plus heureux encore de retrouver et de reconnaître, sans savoir par quel