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comparaissant devant l’assemblée, qu’il avait préféré mourir tout de suite, et avait essayé de se pendre ! Encore les contusions qui lui restaient de sa chute n’étaient-elle rien en comparaison de l’horrible désordre qu’allait dorénavant laisser pour toujours, dans son esprit, cette crainte puérile d’avoir à affronter, durant quelques instans, plusieurs centaines de visages inconnus et sévères. En décembre 1763, après plusieurs tentatives de suicide, sa folie prit une tournure si grave qu’on fut forcé de l’enfermer à Saint-Albans, dans l’asile d’aliénés du docteur Cotton.


De tout temps, d’ailleurs, la folie avait projeté son ombre sur ce frêle cerveau, désormais effondré. William Cowper était né trente-deux ans auparavant, dans un village du comté de Hertford, où son frère exerçait les fonctions de pasteur. Par sa mère, petite-fille du poète et théologien John Donne, il descendait du roi d’Angleterre Henri III ; et pareillement son père, malgré sa pauvreté, appartenait à l’une des plus anciennes familles du royaume. Mais sans doute ce père devait avoir le sang vicié par quelque grave maladie contractée dans sa jeunesse ou peut-être héritée de ses parens : car le fait est que ses cinq premiers enfans étaient morts au berceau. Puis la jeune mère de William était morte à son tour, six ans après la naissance de celui-ci, en mettant au monde un nouvel enfant. Aussitôt après cette mort de sa mère, le petit garçon avait été envoyé dans une école lointaine où, pendant deux ans, il avait eu à endurer toute sorte de supplices corporels ou moraux de la part d’un autre élève beaucoup plus âgé, — une de ces jeunes brutes qui prennent leur plaisir à torturer d’infortunés petits êtres livrés à leur merci, simplement parce qu’elles les savent sans défense contre elles. Et déjà, sous l’effet de ces persécutions incessantes, la nervosité native de l’enfant menaçait de s’exaspérer, lorsqu’un mal d’yeux tout à fait insolite, — et qui semblerait, lui aussi, dénoter chez le futur poète la présence d’une incurable « tare » héréditaire, — l’avait sauvé très opportunément de la folie, ou peut-être de la mort, en l’obligeant à passer dix-huit mois dans la maison d’un médecin oculiste. Après quoi, il avait fait de brillantes humanités au célèbre collège de Westminster, et puis s’était inscrit au barreau, et n’avait pas tardé à émerveiller tous ses camarades par une verve poétique infiniment légère et chantante, imprégnée de cette lumineuse gaieté qui paraît bien avoir formé, jusqu’au bout, l’essence intime de l’esprit et du cœur de Cowper. Mais voici que tout d’un coup, vers l’âge de vingt-cinq ans, la mort accidentelle d’un ami, et le