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Cowper, celles de Mme de Sévigné ont une « humanité » bien plus émouvante : nous y découvrons à nu un magnifique cœur tout saignant des luttes de la vie. Mais il y a dans les lettres de Cowper une charmante lumière de printemps, une lumière attiédie et parfumée, qui prête aux détails les plus insignifians un relief, un attrait, une beauté poétique incomparables. D’un bout à l’autre des deux volumes du recueil, — à la condition seulement d’omettre les dix dernières pages, — c’est comme si nous voyions et entendions l’aimable sourire d’un poète tout à fait ignorant des choses de ce monde, mais qui en ignorerait surtout les laideurs et les tristesses, et d’autant plus se sentirait à l’aise pour nous exprimer les doux rêves de son propre cœur.

Est-ce donc que Cowper nous ait menti, ou encore à soi-même, en remplissant ses lettres de ce sourire immortel ? La preuve manifeste du contraire nous est suffisamment fournie par d’innombrables passages où le poète, sans l’ombre d’un motif pour l’engager à dissimuler ses sentimens véritables sous un tel aveu, avoue à ses correspondans qu’il est pleinement satisfait de son sort, et ne saurait concevoir une vie plus heureuse. « Je mène l’existence que j’ai toujours souhaitée, — écrit-il le 11 novembre 1782, — et, sauf l’état de dépendance où je me-trouve condamné, je n’arrive pas à découvrir en moi un besoin assez large pour qu’il me soit possible d’y édifier un nouveau désir. » D’année en année, ses lettres reflètent le même contentement ingénu. Et jusque dans les lettres des années qui précèdent la catastrophe suprême, Cowper ne manque pas une occasion de nous assurer qu’il tient infiniment à la vie, qu’il serait désolé d’avoir à mourir bientôt, et qu’en somme sa destinée lui plaît telle qu’elle est. Aussi bien conservera-t-il cette étonnante disposition d’esprit jusque pendant l’horreur de ses dernières années. La lettre que j’ai citée plus haut ne nous le montre-t-elle pas « se détournant » avec soin du bord de la falaise, par crainte d’un vertige qui le ferait tomber ? Enfoncé dans un désespoir douloureux et sinistre, il nous dit encore qu’il désire vivre : pas une fois sa plainte ne se transforme en un souhait de délivrance, non plus d’ailleurs qu’en un grief contre la puissante main qu’il sent peser sur lui.

C’est là un phénomène, psychologique assez étrange, mais d’une réalité incontestable. Peu d’hommes ont été plus parfaitement heureux que l’infortuné William Cowper, malgré tout le poids effrayant qu’il a eu à porter pendant toute sa vie. Et peut-être, en somme, l’étrangeté du phénomène ne l’empêche-t-elle pas de nous paraître explicable, si