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jour, à nous décrire minutieusement jusqu’aux moindres détails de tout ce qui l’entoure aussi bien que de ses propres pensées ! Ne voit-on pas le délicieux tableau qui aura chance d’en résulter, et combien le mérite littéraire d’un tel tableau sera encore rehaussé de l’intérêt « instructif » de ce qu’on pourrait appeler son contenu documentaire ? De jour en jour, durant un quart de siècle, un poète dont toute la maîtrise consiste précisément à animer d’une exquise douceur, à la fois musicale et sentimentale, les plus humbles aspects de la vie quotidienne s’est fidèlement ingénié à faire revivre, dans ses lettres, le « microcosme » gracieux de sa maison et de son village, — n’omettant ni les gambades de ses lièvres apprivoisés, ni les chansons de son bouvreuil en cage et des oiseaux qui viennent l’égayer dans son jardin tandis qu’il écrit, ni les menues aventures de ses quelques voisins, ni non plus ses réflexions, souvent admirables, sur les plus graves problèmes de la littérature et de la religion. Tout de même que pas un de nos amis ne nous livre aussi entièrement les clefs de son être que le docteur Johnson dans ses entretiens avec le stupide et consciencieux Boswell, de même il n’y a pas jusqu’à notre entourage ordinaire, l’appartement que nous habitons et notre rue et notre quartier, qui se découvrent à nous aussi pleinement que le fait, dans ces lettres de William Cowper, le milieu où se sont écoulées les souffrances et les joies du poète fou. Mais, au reste, je sens bien que tous les commentaires demeureraient insuffisans à donner une juste idée de l’agrément de ces lettres, avec la double richesse poétique de leur ton et de leurs sujets. J’ai voulu simplement aujourd’hui, à leur propos, rappeler aux lecteurs français l’étrange destinée d’un poète en qui naguère le Joseph Delorme de Sainte-Beuve se plaisait à saluer l’un des plus purs modèles de l’art qu’il rêvait : une autre fois, peut-être, je tenterai d’étudier d’un peu plus près la figure même de l’auteur de John Gilpin, en m’aidant de quelques citations de ces lettres fameuses, où, mieux encore que dans ses poèmes, revit et se déploie pour nous son aimable génie.


T. de Wyzewa.