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pourquoi on attend sans impatience. L’Italie n’a donc pas atteint le but immédiat qu’elle s’était proposé ; mais, si elle a voulu prendre des gages, se procurer des objets d’échange, et attendre, elle aussi, avec confiance que le règlement des questions complexes soulevées par son initiative lui apporte des avantages appréciables, il est possible qu’elle ne se soit pas trompée et cela même est probable.

Qui vivra verra. Certains symptômes qui viennent de se produire dans l’Empire ottoman travailleront peut-être au dénouement avec plus d’efficacité que les coups portés par l’Italie, soit sur les côtes tripolitaines, soit dans les îles de la mer Egée. D’abord le ralentissement du commerce entre la Turquie et le reste du monde, en diminuant les ressources de la Porte, qui étaient déjà faibles, l’oblige à songer sérieusement à ce que la situation a de préoccupant pour elle à mesure qu’elle se prolonge. C’est là un des symptômes inquiétans dont nous parlons, ce n’est toutefois pas le plus grave : la mutinerie militaire qui s’est produite en Albanie et qui a eu ailleurs des contre-coups révèle un état de choses encore plus fâcheux.

Nous ne parlons pas de la question albanaise, bien qu’elle soit posée, elle aussi ; elle l’est toujours, elle n’est jamais résolue ; si elle paraît s’éteindre un jour, c’est pour se rallumer le lendemain avec plus d’intensité ; s’il y a des trêves, il n’y a pas d’apaisement. Les causes en sont connues. Le gouvernement jeune-turc a le malheur d’être féru, sous prétexte d’unité, de cette manie d’uniformité qui a aussi hanté le cerveau de nos Jacobins et qui la hante encore : mais nos Jacobins ont eu des moyens d’action et de répression qui font défaut aux Jeunes-Turcs, et ceux-ci se trouvent d’ailleurs en face d’un problème infiniment plus compliqué que leurs devanciers français, puisqu’ils ont affaire à des populations de races et de religions différentes. Ils ont été maladroits un peu partout, mais particulièrement en Albanie, pays guerrier, amoureux de son indépendance, sachant la défendre, difficile à dompter, que l’ancien Sultan, grand criminel si l’on veut mais politique avisé, avait pris soin de ménager : il se l’était par là assez attaché pour lui demander ses gardes du corps et ses plus intimes défenseurs. La Jeune-Turquie a procédé autrement et ne s’en est pas bien trouvée ; elle a voulu imposer à l’Albanie le même droit public qu’au reste de l’Empire et la révolte y est devenue à l’état chronique. L’armée restait comme une suprême garantie : avec une armée dévouée, c’est-à-dire satisfaite, on pouvait espérer que, le temps aidant, on vaincrait les résistances ou qu’on les empêcherait de s’étendre et de se développer. Le malheur est que l’armée n’est pas