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satisfaite. Pourquoi ? Nous n’en savons rien, probablement parce que tous les officiers voudraient devenir ministres de la Guerre et qu’il n’y en a qu’un, qui est Mahmoud Chefket pacha. Ce dernier a joui d’une grande popularité ; il a disposé d’une autorité très forte : n’est-ce pas lui qui a conduit les troupes de la Jeune-Turquie à Constantinople et détrôné l’ancien Sultan ? Mais tout s’use à la longue et, si le prestige de Chefket pacha n’est pas encore dissipé, il semble bien qu’il soit quelque peu diminué. Avons-nous besoin de dire que celui du gouvernement et du Comité Union et Progrès, dont le gouvernement est l’émanation, a baissé dans les mêmes proportions ? Comité, gouvernement, tout enfin dans la Jeune-Turquie reposant sur l’armée, si l’armée s’irrite et se rebelle, l’anarchie devient générale. On n’en est pas là sans doute, mais le mécontentement augmente et avec lui le malaise : enfin des mutineries locales se produisent et il serait dangereux de former les yeux à de pareils avertissemens. La première mutinerie a éclaté en Albanie, à Monastir. Des soldats, encouragés et bientôt suivis par leurs officiers, ont déserté et gagné la montagne, ce qui est une manière de se retirer sur une sorte de Mont Aventin où ils ont cherché à devenir menaçans. Quand nous disons qu’on aurait tort de fermer les yeux à de pareils avertissemens, ce n’est pas un reproche à adresser au gouvernement jeune-turc. Il a parfaitement compris le danger, il s’en est ému, il a donné l’ordre à Abdullah pacha, qui commande une trentaine de mille hommes en Asie Mineure, de s’embarquer avec eux et de passer immédiatement en Europe ; mais Abdullah pacha a refusé de le faire en déclarant qu’il avait juré à ses officiers de ne jamais porter les armes contre les Albanais. Il a fallu le remplacer au plus vite. Ainsi mutinerie en Albanie, refus d’obéissance en Asie Mineure, le second symptôme venant aggraver le premier, ce sont là des faits alarmans. Les révoltés de Monastir ont demandé la dissolution du Comité Union et Progrès et la démission d’un certain nombre de ministres qu’ils ont désignés nominalement. Le gouvernement a montré de l’énergie et tout fait croire qu’il est encore assez fort pour dominer la situation ; il le sera encore aujourd’hui, mais qui pourrait répondre de l’avenir ? Le gouvernement a déposé un projet de loi pour interdire aux officiers de s’occuper de politique, et ce projet a été défendu par Chefket pacha avec la plus grande vigueur. O ironie de l’histoire ! Quis tuterit Gracchos de seditione quærentes ? Combien de fois les gouvernemens n’ont-ils pas été x victimes de leur origine, c’est-à-dire des exemples qu’ils ont donnés eux-mêmes pour se fonder ? Le gouvernement jeune-turc traverse en