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Le 18 août au matin, une brusque canonnade éclate, nous couvrant de projectiles. Sans prendre le temps de lever le bivouac, la division de Cissey garnit rapidement la ligne de front qu’elle avait à tenir, entre le 6e corps à droite, les autres divisions du 4e corps à gauche.

Pendant plusieurs heures, ce ne fut qu’un combat d’usure, sans effort décisif. Encadrée, notre division restait impassible sous le feu de l’artillerie ennemie, toujours renforcée. Les Allemands, qui augmentaient constamment le nombre de leurs pièces postées en face de nous, finirent par obtenir une supériorité de feu écrasante. Nos batteries furent successivement démontées, aucun renfort ne nous parvint, malgré des demandes incessamment renouvelées.

A un moment de la lutte engagée, se dessina nettement à nos yeux la préparation par les Allemands de leur attaque décisive sur Saint-Privat.

De la ligne de front que nous occupions, nous nous rendions facilement compte des agisse mens de l’adversaire ; les forces ennemies chargées de donner l’assaut se massaient, le canon tonnait de plus en plus vite et criblait d’obus Saint-Privat et la division de Cissey. Ce village ne nous semblait pas, d’autre part, occupé de façon suffisante pour pouvoir résister au choc prochain de la masse prussienne.

Le maréchal Canrobert, du point où il stationnait sur la hauteur, ne pouvait se rendre compte, comme nous-mêmes, de ce qui se préparait contre Saint-Privat, c’est-à-dire contre la gauche de son corps d’armée. Il fallut même une grande insistance de la part de l’auteur de ce récit envoyé auprès de lui, pour le convaincre du péril qui menaçait ce point important de notre ligne de bataille et contre lequel allaient se produire tous les efforts de nos adversaires.

J’avais insisté en effet de telle façon, que M. le maréchal Canrobert, m’interrompant, me donnait à entendre que je pouvais me retirer. Comme je ne bougeais pas : « Vous êtes donc Breton, mon capitaine ! s’écria-t-il. — Non, monsieur le maréchal I Je suis désespéré, ajoutai-je, d’avoir aussi mal rempli ma mission, puisque mon exposé du péril qui menace Saint-Privat ne me semble pas vous convaincre ! » J’avais, entre temps, indiqué au maréchal un point du terrain à proximité, d’où l’on pouvait se rendre compte des préparatifs d’attaque de l’ennemi.