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populations catholiques, l’Etat sentait fléchir sa morgue, et son assurance s’affaisser. Les fêtes qui devaient, à l’automne de 1880, célébrer l’achèvement de la cathédrale de Cologne, causèrent aux ministres de l’Empereur un grave embarras. Trente-huit ans auparavant, Frédéric-Guillaume IV avait solennellement posé la première pierre du portail méridional, et l’archevêque Geissel, dont l’avènement avait, en ce temps-là, scellé la paix religieuse, s’était tenu aux côtés du Roi, suscitant avec lui dans les imaginations allemandes le long et vaste espoir de voir le Dôme de Cologne terminé. L’année 1880 réalisait cet espoir, mais si les imaginations étaient satisfaites, les consciences étaient mornes. Car cet épisode suprême de la construction du Dôme, inauguré dans une époque de concorde, finissait dans une ère de déchiremens : au fond du chœur, le trône archiépiscopal était vide depuis quatre ans : Melchers, l’occupant légitime, avait été déposé par l’Etat ; il communiquait, clandestinement, par des messages expédiés de Hollande, avec les curés et les fidèles, et 63 paroisses de l’archidiocèse étaient sans prêtres. Un deuil accablant pesait sur le catholicisme rhénan ; et c’était l’heure, pourtant, d’être en liesse, puisque les flèches de Cologne, toutes fières, toutes joyeuses, élevaient jusqu’au ciel l’hommage d’une prière séculaire, et puisque l’Allemagne du XIIIe siècle était exaucée par l’Allemagne de Guillaume Ier. Le président, de la province, dès octobre 1879, avait sondé Auguste Reichensperger pour savoir ce que ferait le clergé, ce que feraient les ultramontains. « Leur attitude sera passive, avait répondu Reichensperger ; le Dôme est en deuil. »

Guillaume Ier aimait le Dôme ; il aimait cette synthèse de pierres, pour laquelle avaient collaboré, à six siècles de distance, le Saint-Empire et l’Empire des Hohenzollern. Il voulait qu’elle s’inaugurât au milieu des pompes. Il voulait aller là-bas, lui-même, et il y tenait. Mais Bismarck avait une peur : il craignait que Melchers, l’archevêque déposé, contumace, émigré, ne revint secrètement et ne réapparût, à l‘improviste, au seuil de sa cathédrale pour recevoir l’Empereur, et pour que l’Empereur ainsi sanctionnât de sa présence un affront public aux lois de Mai. Et Guillaume, aussi, n’était pas rassuré, mais chez lui prévalait une crainte inverse : il redoutait le cas où le clergé de Cologne, à la dernière heure, prohiberait toutes cérémonies religieuses et refuserait au Dôme, privé par l’Etat