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auraient exploité l’incident contre Bismarck, et l’auraient accusé d’avoir volontairement offensé le Pape. On était à l’un de ces momens où les susceptibilités des souverains doivent fléchir devant la raison d’état. Guillaume apprit que ses ministres dispensaient Mgr Korum de prêter le serment et lui ouvraient ainsi, toutes grandes, les portes de son diocèse ; alors, le 10, il s’en fut chez Bismarck, fit une visite d’une demi-heure, qui peut-être fut une scène, et puis céda. Un prêtre, né hors d’Allemagne et sacré au-delà des monts, allait régner sur les consciences prussiennes sans avoir promis aux lois prussiennes une impossible obéissance ; et dans l’acte par lequel Guillaume le reconnut, la bulle De Salute, de 1821, et les émolument d’Etat, qu’elle garantissait à l’évêque, étaient mentionnés expressément. On avait affecté, durant tout le Culturkampf, de considérer cette bulle comme périmée : aujourd’hui l’on reparlait d’elle, en la réputant valable, impérieuse même, comme tout bon contrat.

« Voilà le commencement de la fin du Culturkampf, s’écriait joyeusement, dans son évêché de Metz, l’illustre Dupont des Loges, le premier pas pour aller à Canossa était le plus difficile, et le voilà fait. » Mais dans la Gazette générale de Munich, un sérieux cri d’alarme s’élevait, aussitôt répercuté par toute une partie de la presse : « Ce n’est pas sur le chemin de Canossa que nous sommes, disait la Gazette ; nous voilà déjà très avant dans le vestibule de cette intéressante citadelle où la fière parole du chancelier avait promis de ne jamais traîner la nation allemande. »

L’article s’épanchait comme un flot d’amertume : il était signé des deux initiales : V. S. On l’attribua d’abord à un canoniste vieux-catholique : on se trompait. L’article était l’œuvre d’un catholique, d’un prêtre, d’un professeur qui dans une faculté de théologie catholique instruisait les futurs prêtres. François-Xavier Kraus, candidat de Guillaume Ier pour l’évêché de Trêves, se consolait ainsi de l’éloignement de la mitre, à laquelle jusqu’à ses derniers jours il ne devait pas cesser d’aspirer. L’archéologie chrétienne, l’histoire de l’art, l’exégèse de la Divine Comédie, durent à Kraus des enrichissemens et lui procurèrent une gloire de bon aloi, qui durera. Mais ni le passé chrétien ne suffisait à le retenir, ni l’immensité de la Divine Comédie ne suffisait à l’absorber ; au-delà des visions de jadis, en deçà des visions d’éternité, il s’évadait, avec un fiévreux attrait, dans les ténébreuses broussailles de la politique religieuse contemporaine.