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lendemain[1], et que son crayon, spirituel autant que facile, s’oubliait parfois jusqu’à reproduire ou imiter les plus infâmes inspirations de l’art païen. Sans être prude ni même vertueux, Bonaparte n’avait aucun goût pour le libertinage des roués : c’est à contre-cœur que, sur les instances de Joséphine, il s’était résigné à emmener Denon en Egypte. « Mais bientôt… il fut charmé par cette conversation si vive, si spirituelle et si nourrie, par cette infatigable curiosité qui poussait Denon à risquer sa vie pour prendre un croquis, par cette vision qu’il avait si juste et si graphique des faits contemporains, par cette instruction encyclopédique qui en faisait le meilleur juge en matière d’art[2]. » De son côté, Denon fut ébloui et conquis, comme tant d’autres, par un génie si dissemblable de tout ce dont il avait approché dans une carrière déjà longue. Dès l’Egypte, il entrevit combien il serait honorable et passionnant pour un artiste d’illustrer cette fabuleuse destinée. Devenu directeur du Musée avec des attributions qui en faisaient « le ministre, si l’on peut dire, chargé du portefeuille des idées d’art et d’histoire, » il conçut l’ambition, non seulement de reprendre et de développer l’œuvre de Marigny et de d’Angevillers, mais par les richesses entassées au Louvre, par les peintures décoratives, les statues, les monumens suscités à Paris et sur toute l’étendue du territoire français, de donner à la gloire napoléonienne une consécration grandiose. Six semaines après sa nomination, il écrivait au Premier Consul : « Je passe mes jours à me mettre au fait de tout ce que vous m’avez confié, afin de m’en rendre maître et de justifier peut-être à l’avenir l’opinion que votre choix a donné de moi : et chaque fois que j’aperçois une amélioration à faire, je vous en fais l’hommage et vous adresse des remerciemens de m’avoir élu pour l’opérer. »

Sans doute, Denon en tenant ce langage demeurait l’adroit courtisan qu’il avait toujours été, de même que le directeur du Musée Napoléon conservait les préjugés antireligieux de l’ancien visiteur de Ferney. Pour obtenir la restitution des salles du Louvre naguère mises à la disposition de l’Institut, il raillait

  1. En dehors de la question de moralité, ces scènes de libertinage encadrées et stimulées par des « trucs » mécaniques à la Vaucanson sont étrangement artificielles et même monotones, malgré la brièveté du récit : on comprend qu’une société mise à ce régime se soit pâmée d’émoi à la lecture de Paul et Virginie.
  2. Frédéric Masson. Napoléon chez lui, p. 136.