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L’aménagement était enfin terminé, au début de 1810, quand le musée des tableaux fut inopinément désigné pour servir de cadre à l’une des plus mémorables cérémonies du régime. C’est trois semaines d’avance seulement que Denon fut avisé par Daru : « Le mariage religieux de Sa Majesté, monsieur, sera célébré à Paris, dans la salle de l’Exposition des tableaux, qui sera décorée en chapelle… Il y aura des places particulières pour tous les ordres de l’Etat, et tout y sera disposé de manière qu’il n’y ait point de confusion. Il y aura dans la galerie du Muséum deux rangs de banquettes pouvant servir à asseoir 3 000 personnes des deux côtés, et derrière deux rangs d’hommes debout formant 3 000 hommes, ce qui fera 6 000 personnes. On ne saurait prendre trop de précautions pour qu’il ne puisse résulter aucun accident du rassemblement d’une aussi grande quantité de personnes dans cette galerie. »

Dressé à exécuter promptement des ordres catégoriques, le personnel des administrations intéressées déploya une activité plus fébrile encore que de coutume. Le problème pourtant parut d’abord insoluble, non pas tant d’aménager le Salon Carré en chapelle que d’y disposer des tribunes pour 400 assis-tans. Une tentative faite pour déménager les Noces de Cana faillit amener la destruction du tableau, et devait servir en 1815 d’argument décisif pour en obtenir le maintien au Louvre. Comme Denon se risquait à objecter la difficulté de déplacer tant de tableaux volumineux et précieux, Napoléon répondit par une boutade de despote mal civilisé et d’enfant gâté de la fortune : « Eh bien, il n’y a qu’à les brûler ! » Il se fût indigné sans doute d’être pris au mot, mais il entendait marquer que sa volonté était inébranlable. « Là-dessus, on s’ingénia, » a écrit l’un de ses plus récens historiens : Denon fit détendre et rouler plusieurs tableaux : les autres furent masqués et protégés tant bien que mal, par les soins de Fontaine et d’Isabey, à l’aide de tentures de taffetas et de velours.

Quant à la galerie, où le cortège nuptial devait défiler devant l’élite de la société parisienne, le directeur général avait craint au contraire qu’elle ne parût par endroits dégarnie de tableaux, en raison des prélèvemens improvisés pour les résidences impériales. Il s’en expliquait spirituellement avec Daru, une semaine avant le grand jour ; « Depuis le dernier envoi que j’ai fait à Compiègne, j’ai fait travailler jour et nuit