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historique de l'art qui lui manquait, et il devra à votre administration une collection éminemment intéressante de la renaissance des arts en Italie, commençant au (sic) Cimabue et finissant à Raphaël… Si on ne saisit cette occasion, on ne pourra, vu la rareté des peintures sur bois des premiers maîtres, la retrouver… Je n'ai indiqué qu'un tableau de chaque peintre, et deux au plus. »

Denon se faisait illusion sur sa propre modération. Non seulement ses préoccupations artistiques étaient à l'antipode de celles de Canova, suppliant Napoléon de ne point dépouiller les églises de Florence de leurs tableaux et objets d'art, « qui sont un accompagnement nécessaire des ouvrages à fresque, lesquels ne peuvent être transportés ailleurs, » mais les fresques mêmes ne lui inspiraient pas un respect sans limites. Sans doute, à l'énoncé de la monstrueuse proposition de deux prétendus artistes, qui offraient d'enlever du Vatican et de transporter au Louvre la Dispute du Saint-Sacrement et l’Ecole d’Athènes, le directeur du Musée s'exclamait tout indigné que ce serait là « le comble du vandalisme ; » mais il ajoutait que l'enlèvement s'imposerait pour les fresques des couvens supprimés, notamment pour la charmante et profane décoration donnée par le Corrège au réfectoire des bénédictines de Parme ; quatre ans auparavant, il avait reçu et probablement provoqué les ordres de Napoléon pour « faire enlever de l'église de la Trinité-du-Mont à Rome la fameuse fresque représentant la Descente de Croix, de Daniel de Volterre, l'une des plus célèbres productions des arts. » Au cours du voyage de 1811, il jeta son dévolu sur un certain nombre de tableaux de l'Académie des Beaux-Arts de Florence et de la Brera de Milan. Dans ce dernier musée, il nota cinq toiles de primitifs non représentés au Louvre, et en négocia l'échange contre un Rubens, un van Dyck et un Jordaens, « peintres coloristes qui sont, essentiellement nécessaires à l'école de Milan ; » comme les conservateurs milanais faisaient mine de regimber, Denon le prit de très haut : « Mais de quoi s'agit-il enfin ! L'Empereur prend dans son musée de Brera cinq tableaux pour son musée de Paris. Dans ce dernier, il cherche à compléter la collection la plus étonnante qui ait jamais été faite, et due presque en totalité à ses victoires. Sa Majesté eût pu les prendre sans envoyer en compensation les trois beaux tableaux de l'école flamande. » Il