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être plus impatient d’être rassuré sur mon amour que je ne le suis de me savoir disculpée à tes yeux, que tu reconnaisses mon innocence. Il est affreux pour un cœur sensible de se savoir injustement soupçonné par celui qu’on idolâtre. Mon ami, au nom de Dieu, rassure-toi sur l’inviolabilité d’une passion qui a été à l’épreuve du temps et du malheur… »

L’incident que nous venons de raconter n’avait pas fait perdre de vue à Mlle de Rudenschold la mission qu’elle était chargée de remplir auprès du Roi. À cette époque, il n’avait pas été mis en garde contre elle, du moins elle le croyait ; elle l’approchait assez fréquemment ; elle vivait familièrement avec son gouverneur et son précepteur et toujours bien reçue, surtout lorsqu’elle lui parlait d’Armfeldt, elle se flattait d’être en possession de sa confiance. Toutefois, avant de lui présenter la lettre qu’elle devait lui faire signer, elle voulut le préparer à la recevoir. Le 10 février, se trouvant seule avec lui, elle lui dit qu’elle avait un papier à lui remettre. Mais elle se heurta à une attitude glaciale et au refus le plus inattendu. Le surlendemain, elle faisait connaître à Armfeldt le triste résultat de sa démarche :

« La réponse du Roi m’a terrifiée : il m’a demandé s’il lui serait permis de la montrer à Gyldenstolpe, son gouverneur.

« — Non, dis-je, je désire que vous ne la montriez à personne.

« — En ce cas, me dit-il en secouant la tête, je ne dois sans doute pas la recevoir.

« — Votre Majesté me fait de la peine, ajoutai-je. Cette réponse, qu’elle me donne, marque une grande méfiance pour moi, ce qui m’afflige.

« Ceci prouve clairement, mon ange, qu’on a monté son esprit contre nous… Je désire donc avoir tes ordres et connaître tes idées à cet égard. Un coup de foudre m’aurait moins surprise et moins découragée. »

Il sera souvent question, dans la suite de cette correspondance, de cette lettre destinée à l’impératrice Catherine. Mais on verra que l’occasion ne se présenta plus de la communiquer au Roi, bien que la mandataire n’eût pas cessé de déployer toute son habileté afin d’obtenir sa signature. Elle s’agitait encore pour essayer de l’obtenir que, déjà, Armfeldt avait changé d’avis, ainsi que le prouve ce billet : « La bonne manière de soutenir le jeune Roi est de ne fomenter aucun trouble pendant la durée