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du côté de la Russie. Je me hâte de t’avertir à temps, en cas que tu veuilles le prévenir.

« J’ai fait tes complimens au général Taube, qui m’a fortement recommandé de le parler de lui dans ma lettre. On m’a dit qu’Axel de Fersen revient. Cela serait-il vrai ? Mon Dieu ! que je le plains en ce cas ; il sera ici sur un pied très désagréable, car le Duc ne le souffre pas, ni le Vizir, ni tous les autres favoris.

« Le séjour à Drottningholm est retardé jusqu’au mois d’août. Le Duc m’a fait l’honneur, l’autre jour, de m’ordonner d’en être ; il trouva qu’en lui répondant que j’irais, j’avais un petit air qui indiquait que j’avais l’intention de ne pas accomplir cette promesse. Et ce fut avec toute la peine du monde que je parvins à le dérouter. Dieu me garde d’y aller. C’est le vœu que forme mon cœur… »

5 mars. — « Pour être bien sûre d’avoir tout mon temps pour causer avec l’idole de mon cœur, me voilà déjà, à huit heures du matin, ma plume à la main pour te rendre grâce de tes deux charmantes lettres du 9 et du 10 février…

« Je ne sais trop pourquoi, mais je crains ce séjour en Italie. Est-ce parce qu’on m’a dépeint la femme italienne comme si attrayante, si pleine de complaisance. Je tremble que tu ne puisses, leur résister.

« Ce que tu me dis de ma chère Abbesse[1]me surprend. Comment sa tournure a-t-elle jamais pu paraître, agréable ? Cela me donne une pauvre idée des princesses autrichiennes. Quant à ce qu’on a remarqué sur sa Cour et la laideur de ses dames, elle a été la même partout où elle a passé, à ce qu’on m’a raconté. Taube a dit à ce sujet quelque chose de très flatteur pour moi. Dans un cercle de dames, on se moquait un peu de moi et du désespoir que je devais ressentir de ne pas avoir été choisie pour accompagner Son Altesse, d’autant plus que tu étais nommé ministre là-bas.

« — C’est la princesse qui doit être au désespoir de ne pas l’avoir, dit Taube, puisque c’est une femme jolie et aimable, tandis qu’elle n’est entourée que de laideronnes sottes. Celles-ci ne font guère honneur à la femme suédoise ; Mlle Rudenschold en eût donné une idée bien plus avantageuse.

  1. La princesse Sophie-Albertine venait de quitter Vienne lorsque Armfeldt y arriva et, ayant recueilli les témoignages de l’impression qu’elle y avait produite, il en faisait part à Madeleine de Rudenschold.