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le mien, à cette pensée. Si ma mère n’existait pas, rien au monde ne m’empêcherait de m’envoler immédiatement pour hâter notre réunion. »

18 juin. — « Je viens de recevoir ta lettre du 23 mai qui m’a fait bien pleurer. Mon Dieu, Pojke, que ne puis-je m’abandonner aux douces illusions que me laissent les assurances de ton amour ? Pourquoi doivent-elles être empoisonnées par la jalousie qui me dévore, tous les soupçons que l’on aime à faire naître en moi ? Mon bästa Pojke, je le conjure de ne pas me tromper. Dis-moi la vérité, la vérité tout entière ; si cruelle qu’elle soit, je la préfère aux cruels propos du monde qui finiront par troubler ma raison. »

9 juillet. — « Comme mon cœur plaide pour toi, je m’en veux presque d’avoir douté de ton amour, quoique tu ne sois pas encore tout à fait justifié à mes yeux. Mais les expressions sont si passionnées, si conformes à tout ce que mon cœur sent, que je me fais un scrupule d’en révoquer en doute la vérité. Mille grâces donc, mon ange, pour ta charmante lettre du 15 juin, qui a versé du baume dans mon cœur. Aime-moi seulement un peu et tu verras que rien au monde ne peut changer les sentimens que je t’ai voués. Ils font partie de mon existence, je ne l’ai que trop éprouvé à cette occasion où je me suis crue oubliée par toi. Je n’ai pas cessé de t’aimer un seul instant. Il me semblait que mon amour luttait avec ma colère pour faire sentir encore plus vivement toute l’étendue de mon malheur. Je désire ne jamais rencontrer cette princesse Mentschikoff, car dans dix ans, je lui en voudrai encore du chagrin qu’elle m’a fait. La douleur était trop vive pour être jamais oubliée… La santé de maman se remet, elle a l’air de vouloir atteindre le siècle. Aussi, depuis qu’elle est mieux, je pars avec la petite Augusta Fersen et Charlotte Bielke pour Wijk, chez Essen, où nous resterons jusqu’à la fin du mois. Je rentre après cela en ville pour quelques jours, mais je tâcherai de quitter la ville avant le retour de la Cour ; j’irai passer tout le mois d’août en Ostrogothie. »

15 juillet. — « Hélas ! mon bon ami, quel triste anniversaire, quelle douloureuse impression il réveille en ma mémoire ; il y a juste un an que tu me quittais. Mon cœur ressent encore la déchirure de ce moment d’adieu avec la même violence. Tu me jurais de revenir eu trois mois. Quel espoir me fais-tu