Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 10.djvu/702

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« On m’a conté une histoire caractéristique du Vizir. Dans une société où l’on parlait des événemens de France, il s’est apitoyé sur la reine de France et ses malheurs, sur la mort de Louis XVI, dont il paraissait vivement frappé. Et c’est un tel hypocrite qui gouverne la Suède !… »

Drottningholm, le 13 août. — « C’est à la veille de quitter ce séjour, mon cher ami, que je t’écris. Grâce au ciel, je pars demain… Le Duc, qui, jusqu’à ce moment, avait affecté de l’indifférence, a pris mon départ fort vivement et a voulu me persuader d’y renoncer, prétextant que c’était manquer au Roi, qui m’avait ordonné d’être du séjour ici. Je répondis que nous n’étions pas encore à l’époque où le Roi ferait lui-même la liste des personnes qu’il voulait admettre à sa société ; que pour le moment, je le croyais assez indifférent quant à ceux qui allaient et qui venaient ; que je serais pourtant au désespoir si mon départ allait l’offenser ; que j’irais de ce pas le supplier de ne pas prendre en mauvaise part si je m’absentais pour une couple de semaines. Et effectivement, j’y fus, et le Roi consentit gracieusement.

« Le Duc, par pique, me dit qu’il voyait très bien que ce n’était qu’à lui que j’étais indifférente de faire de la peine ; que je ne pouvais ignorer qu’il m’aimait toujours et que je faisais une étude de lui être désagréable. J’ai cherché à tourner cette petite déclaration en plaisanterie et me suis esquivée. Cela n’a pas empêché qu’on me dit après que j’y avais mis de la coquetterie pour me faire mieux regretter.

« Le Duc, après que je lui ai annoncé mon départ, a semblé s’émanciper de la tutelle du Vizir. Il recherchait toutes les occasions de me parler et, pour me mettre bien en train, il m’a parlé de toi. Il m’a demandé de tes nouvelles et cela naturellement, sans aigreur. Je lui en ai donné sur le même ton en toute simplicité, car je trouve qu’il faut les laisser croire à ta sérénité, comme si tu ne songeais plus aux injustices qu’on t’a faites. Plus ils croiront à ton impassibilité et moins ils se rebuteront à te laisser revenir un jour, ce que pour le moment, on me parait bien éloigné de vouloir. »

Le lendemain, Madeleine de Rudenschold quittait Drottningholm et, le 16 août, elle partait pour l’Ostrogothie. Son absence devait durer trois semaines. Il n’y a pas lieu de la suivre dans ce voyage dont les circonstances sont étrangères à ce récit. Nous nous contenterons de nous arrêter avec elle à deux des