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Il faut rentrer. Je pense à toi. L’averse vient :
Ton jardin doit souffrir aussi comme le mien ;
Tu rentres comme moi dans ta chambre et, peut-être,
Vaguement énervée et triste tout à coup,
Vas-tu pencher un peu ton front vers la fenêtre…
Le poids de tes cheveux a fatigué ton cou,
Tu vois l’orage au loin courber les moissons d’août,
Sur le gazon, tout près, s’écroulent des pétales
Et l’eau, cinglant la vitre en subites rafales,
Y fait un éphémère et transparent dessin !
Tu penses, toute seule en ta chambre. J’espère
Que, lasse, ayant trop chaud sous ton vêtement fin,
Tu sens monter la fièvre à ton cœur solitaire.
Tu te souviens que j’ai quelquefois supplié,
Tu découvres que j’eus raison d’être fidèle ;
Puis, parce qu’un éclair coupe le ciel mouillé,
Tu trembles longuement d’une angoisse nouvelle…
— Mais bientôt le soleil redescendra vers nous.
Alors t’arriveront par la croisée ouverte
Une froide senteur de verdure plus verte,
L’odeur de l’air lavé, l’odeur des sentiers mous,
Les parfums sensuels éclos après l’orage…
Et toi, sans volonté, vaincue et sans courage,
Défaillante devant l’adorable danger,
Tu connaîtras enfin le vertige que j’ai,
Et, comprenant qu’un mal délicieux commence,
Tu vas être alanguie et tu regretteras
Pour ta jeune faiblesse et pour ton ignorance,
L’abri mystérieux et tendre de mes bras.


SOIR PRÈS DU LAC


Du vent glisse dans les châtaigniers frémissans,
Puis tout se calme en une lourde rêverie…
Qu’il fait sombre ! Pas une étoile… Je descends
Vers le lac invisible au bas de la prairie.
Une senteur d’eau morte et d’orage et de nuit
Par souffles sur le flot ténébreux se soulève :
Le lac vient s’étirer aux galets de la grève,
Je sais qu’il est immense et ne vois rien de lui !