Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 10.djvu/709

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le soir est chaud… Je pense aux romantiques âmes
De ces lacs où l’amour soupirait sur les eaux
Des aveux que rythmait le bruit mouillé des rames…
Tant de lyres ont frissonné dans les roseaux,
Du lac de lord Byron au lac de Lamartine,
Et tant d’hommes, émus d’un mirage ignoré,
O mon lac noir, aujourd’hui même, ont adoré
Ton âme bleue où passe une voile latine !…
Tout près d’ici, sous les platanes de Vevey
Jean-Jacques sensuel et subtil écrivait
Les lettres de Saint-Preux dont s’exaltait Julie,
Et quand la lune est comme un nénuphar d’argent,
Sur les rives j’ai vu, leurs lèvres se touchant,
Frissonner le désir et la mélancolie…

El puis les soirs de fête apportant aux flots mous
Des bateaux éclairés où des ombres s’enlacent ;
On entend, par sursauts, rire les femmes lasses,
Des couleurs de lampions tournent dans un remous ;
Le lac sentimental chante ses barcarolles !
Mais la nuit peu à peu fait taire les paroles,
Et les femmes, nouant leurs mains à leurs genoux,
Délicieusement laissent descendre en elles,
Au lieu du plaisir brusque et vain qu’on leur offrait,
Un attendrissement plus intime et plus vrai,
L’amicale douceur des beautés naturelles…

Il fait sombre. Pas une étoile… Je n’ai rien,
Ni compagne, ni cœur battant, ni sérénade ;
Sur le gravier l’imperceptible va-et-vient
De l’eau donne une odeur mystérieuse et fade.
L’orage rôde au fond des ténèbres. Je vois,
Très loin, cligner les feux d’un village vaudois
Comme tremble une flamme au chevet d’un malade….
J’écoute l’éternel et faible clapotis…
Et de même qu’au temps où nous étions petits,
Approchant une oreille étonnée et crédule,
Nous retrouvions au fond d’un coquillage amer
Le ressac et le vent salé qui s’y module
Et l’aventure, et le vertige de la mer,