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Certains soirs désolés, sous le halo des lampes,
Il éclôt cependant que meurt le dernier bruit ;
Puis il ferme nos yeux et caresse nos tempes,
Et mûrit gravement le rêve comme un fruit.

Il porte dans ses mains patientes et sûres
Les pavots du sommeil, le lierre des tombeaux,
Le calme de la mort et l’ombre du repos…
Il guérit le chagrin secret et la blessure.

Après la passion brûlante, il rentre en nous,
Pur comme un crépuscule où perle la rosée ;
Le silence renaît de la fièvre apaisée ;
Il est puissant, il est invisible, il est doux.

Alors les souvenirs fleurissent la mémoire
Et, dans un instant noble, intime et précieux,
Il semble que l’amour encor chaud vienne boire
A quelque source calme où se mirent ses yeux…

— Il fait nuit ; le silence est maître de la terre ;
Il remplit les chemins ; il baigne l’horizon,
Il endort le feuillage et bénit la maison
Et le jardin où le jet d’eau vient de se taire…

Je suis loin d’elle… Alors, silence qui veillez,
Je vous donne à deux mains, ce soir qu’elle est absente,
Ma tendresse isolée et toujours frémissante,
Mon labeur simple et mes songes émerveillés !…

Dites-lui, si jamais son cœur vain vous écoute,
Que les espoirs muets sont les moins inconstans ;
Silence, parlez-lui très bas, troublez-la toute,
Silence, frère obscur et fidèle du temps…


JACQUES CHENEVIERE.