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regrette la suppression des élections partielles qui, dit-il, en attendant les élections générales, donnent sur l’état de l’opinion des renseignemens précieux. Sur dix élections partielles, huit tournent aujourd’hui en faveur des partisans de la représentation proportionnelle, et les radicaux-socialistes eux-mêmes, pour être élus, sont obligés d’en accepter le principe. Quel parti M. Clemenceau tire-t-il de cet enseignement qu’il juge si salutaire ? Aucun. Mais le Sénat sera mieux avisé.


Toute une révolution vient de se produire à Constantinople. Nous avions trop présumé, il y a quinze jours, des ressources de vie qui restaient encore au Comité Union et Progrès et au ministère qui le représentait. Sans doute la situation de l’un et de l’autre nous semblait très ébranlée, compromise même à échéance plus ou moins prochaine, mais nous avions cru que la crise actuelle pourrait se dénouer provisoirement sans changement profond, et, tout au contraire, le déclanchement s’est précipité avec une étrange rapidité. Nous avions encore il y a quinze jours le ministère Saïd pacha ; nous avons aujourd’hui le ministère Mouktar pacha.

Le ministre qui a été visé le premier par l’opposition a été le plus considérable de tous, celui qui pendant quelque temps avait paru être le maître de l’Empire et qui l’aurait été en effet s’il avait été un ambitieux de grand style. Mais Mahmoud Chevket pacha n’a voulu être qu’un militaire, son horizon était borné à celui de l’armée : hors de là, sa vue s’obscurcissait et l’énergie même de son caractère s’atténuait dans une demi-indifférence. On se rappelle ses luttes contre le ministre des Finances auquel il refusait de soumettre les comptes de son ministère. L’armée était pour lui au-dessus des lois, ou du moins des règles de la comptabilité. C’est à ces petitesses qu’il réduisait son action. Ce type de militaire est d’ailleurs vieux comme le monde : Horace le décrivait dans son Art poétique en disant : Negat sibi leges, il nie que les lois soient faites pour lui. Tel était Chevket pacha, honnête homme à l’esprit étroit ; mais, comme il avait battu la contre-révolution, maintenu la constitution, mis le nouveau Sultan sur le trône, tout s’inclinait devant son importance. Pour d’autres motifs que les siens, tout le monde sentait que l’armée était tout dans l’Empire, qu’elle en constituait le seul pivot solide et que son mécontentement, s’il venait à naitre ou à renaître et se traduisait de nouveau par des actes, serait une force contre laquelle rien ne prévaudrait. Et, précisément, l’armée est devenue mécontente. A côté du Comité Union et Progrès et contre lui, s’est formée une Ligue militaire qui travaillait