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cette préparation indispensable, les chefs de goums savent se garder d’une ingérence tatillonne dans les actes extra-militaires de leurs soldats. En garnison, les goumiers vivent à leur guise, habitent en famille au dehors des camps. Lorsqu’ils ont terminé leur service journalier, ils laissent dans la salle d’armes leur fusil, leurs cartouches et leur équipement, et sont libres jusqu’au lendemain. En colonne, ils sont soumis par nécessité aux règles ordinaires de discipline et d’alimentation des troupes en marche. C’est d’ailleurs ainsi que vivent les tirailleurs indigènes dans toutes nos possessions, l’Algérie exceptée. La formule dut sembler bonne au commandant Simon, un vieil Africain cependant, puisqu’il l’adopta pour les goums marocains dont il est le fondateur. Sans doute, des chefs épris de tradition et d’uniformité s’offusquent à la pensée que des troupes régulières peuvent exister sans chambrées, sans lits, sans paquetages corrects, sans bonis d’ordinaire, sans permissions de dix heures ou de la nuit, sans contre-appels, sans éducation civique et sans mutualité. Mais c’est précisément pour protester contre une régularisation intempestive, on tout au moins prématurée, que l’armée chérifienne de nouvelle formation s’est révoltée en massacrant la plupart de ses chefs. Les anciens tabors de la mehallah impériale, organisés par le commandant Mangin sur le même type que les goums, avaient au contraire fait honorablement leur devoir, pendant les opérations militaires qui précédèrent et suivirent notre intervention au Maroc.

L’apparition des goumiers et des marsouins aux abords des douars qu’ils venaient symboliquement délivrer, attirait sur le champ de bataille une foule d’indigènes loquaces et curieux. Les détonations aussi bruyantes qu’inoffensives des cartouches à blanc ajoutaient à l’éclat de ces démonstrations guerrières, et les indigènes admiraient sans réserves les manœuvres de la troupe, le rythme des coups de feu qui leur représentaient les épisodes bien réglés d’énigmatiques fantasias. Puis, à la fin de la bataille, quand le directeur de la manœuvre avait abondamment répandu l’eau bénite de la « critique » traditionnelle sur leurs chefs, les deux partis fraternisaient. Autour des fontaines, à l’ombre des arbres, on consommait le repas froid, tandis que les notables apportaient aux officiers le cousscouss de l’hospitalité. Inquiets, sans le paraître, d’un tel déploiement de forces, ils questionnaient avec astuce, et leur physionomie s’illuminait