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serviteurs, mais elle règne en son nom, par délégation de son pouvoir, comme une sorte d’intendante ou de femme de charge : ainsi que le dit l’historien Denys d’Halicarnassc, c’est par la complète obéissance à l’époux qu’elle devient en même temps que lui la maîtresse de la maison. Elle est exempte de travaux serviles, tels que la mouture du froment et la fabrication des mets, parce que la dignité patricienne, à laquelle elle participe, en subirait quelque atteinte humiliante ; mais elle est loin d’être oisive, ou libre de son activité. Sans parler des enfans qu’elle nourrit et qu’elle élève, elle contrôle le train quotidien de la vie domestique, garde les clefs, dirige les esclaves, assure le bon approvisionnement du garde-manger et de la cave. Surtout, assise dans l’atrium au milieu de ses servantes, elle leur distribue la laine ou le lin, file et tisse avec elles, si bien vouée à cette besogne que, jusqu’à la fin de l’empire, les épitaphes des matrones les loueront pour leur habileté de fileuses, et qu’on sculptera sur leur tombe un métier à tisser en guise d’armoiries. Elle ne peut sortir qu’avec la permission de son mari, et escortée de gens âgés dont le seul aspect suffit pour éloigner les galans. Elle ne peut avoir de relations personnelles : elle doit avoir les mêmes amis que son mari, et pas d’autres. Elle assiste aux repas, mais il lui est interdit de boire du vin. Elle n’a aucun droit légal sur la destinée de ses enfans : lorsqu’ils sont en âge de se marier, ce n’est pas elle qui décide de leur sort, c’est le père de famille ; il la consulte souvent, s’il a confiance en son jugement, mais parce qu’il le veut bien, étant en principe le seul dont le consentement soit requis par la loi. C’est également du mari que dépend le maintien ou la rupture du lien conjugal : il peut divorcer, non pas à sa fantaisie, il est vrai, ni sans avoir pris l’avis du tribunal de famille ; mais enfin, dans certains cas déterminés, si la femme est coupable d’adultère ou d’empoisonnement, si elle a introduit dans la famille un enfant supposé, ou si même, tout simplement, elle a usé de fausses clefs, il peut la répudier, — et en quels termes outrageans ! la formule indiquée par la vieille loi des Douze Tables est celle-ci : « il lui redemande les clefs, » comme à une domestique que l’on renvoie. La femme, au contraire, dans la législation archaïque, ne peut jamais réclamer le divorce. Il semble même que le mari ait, en un certain sens, droit de vie et de mort sur elle, si l’on en croit cette phrase célèbre de Caton