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continuent à célébrer l’assiduité qu’y apportent les femmes, parce qu’en tout pays, et à Rome plus qu’ailleurs, la littérature funéraire est encombrée de survivances et infestée d’illusions : mais des témoins désintéressés, tels que Columelle, se plaignent que leurs contemporaines négligent pour leurs plaisirs les soins du filage et du tissage. Si l’empereur Auguste oblige ses filles et ses petites-filles à s’acquitter de cette besogne, s’il ne porte que des vêtemens fabriqués par sa femme ou sa sœur, l’application même qu’il met à réhabiliter ces vieux usages prouve à quel point ils ont disparu. Comment n’en serait-il pas ainsi, puisque, à chaque instant, en lisant les ouvrages de cette époque, nous voyons les femmes absentes du foyer ? On nous les dépeint au théâtre, aux fêtes, au cirque, aux cérémonies des temples, sur les promenades publiques, dans les festins, partout, en un mot, partout ailleurs que chez elles. Il est vrai que, parmi ces documens, quelques-uns, — les poèmes de Tibulle et d’Ovide, — se rapportent sans doute aux courtisanes aussi bien et mieux qu’aux matrones, et qu’on est assez embarrassé de préciser certaines allusions. Mais cela même est un signe de l’évolution accomplie. Pour l’époque archaïque, jamais de telles incertitudes n’auraient été possibles : si, maintenant, les honnêtes femmes peuvent être confondues avec celles du demi-monde, c’est qu’elles mènent une existence aussi extérieure, aussi indépendante. Car on devine ce qui peut subsister, dans ces conditions, de l’ancienne autorité conjugale : pour que le mari put être encore le maître de sa femme, à tout le moins faudrait-il qu’ils vécussent sous le même toit.

La femme s’est donc affranchie, dans le mariage même, du joug si lourd autrefois. Elle n’est plus « esclave, » ni de son mari, ni de la tradition. Mais de plus, mais surtout, de ces liens pourtant si peu gênans, elle est libre de sortir dès qu’elle veut et comme elle veut. Là réside la grande nouveauté, et ce qu’il y a de singulier, c’est que cette transformation, si capitale pour le sort des femmes, nous est très mal connue. Les historiens ont beaucoup discuté pour savoir à quelle date la faculté du divorce s’était introduite dans la législation romaine : selon les uns, la première rupture du lien conjugal aurait été l’œuvre d’un certain Carvilius Ruga, deux cent trente ans environ avant notre ère ; d’autres croient que la chose était possible déjà d’après la loi des Douze Tables ; d’autres enfin remontent