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mentionnés en passant par les historiens, à propos de tel ou tel grand personnage, de telle ou telle femme célèbre. Elles sont aussi, et plus encore peut-être, dans les anecdotes que l’on peut glaner dans des correspondances comme celles de Cicéron et de Pline le Jeune : quand Cælius écrit à Cicéron qu’une certaine Valeria Paula, « sans raison aucune, » a divorcé le jour même où son mari devait revenir de sa province, et qu’elle va épouser Decimus Brutus, on ne sait ce qu’on doit admirer davantage, de l’aisance avec laquelle l’héroïne de ce récit s’est débarrassée de son premier époux, de la rapidité qu’elle a mise à en prendre un second, ou de l’aimable insouciance que le narrateur apporte à constater l’événement, comme s’il s’agissait de la chose du monde la plus naturelle. Ce « fait-divers » jeté incidemment dans une lettre, sur le ton le plus détaché, en dit plus que toutes les boutades des satiriques ou que tous les sermons des moralistes : il nous fait sentir combien radicale est la disparition des anciennes mœurs, combien absolue l’émancipation individuelle de la femme romaine.

Ce n’est pas à dire, comme bien on pense, que toutes les matrones aient profité pour leur compte des très larges facilités que la loi et l’opinion leur laissaient. Ce n’est pas à dire non plus que nul effort n’ait été tenté pour revenir en arrière et rendre plus étroits les liens très relâchés du pacte conjugal. Tout le monde sait, par exemple, ce que l’empereur Auguste a essayé de faire en ce sens. S’il n’est pas allé, comme il l’aurait désiré sans doute, jusqu’à rendre le divorce impossible, il s’est ingénieusement appliqué à le rendre beaucoup plus difficile, l’interdisant totalement aux affranchies, et, pour les personnes d’un rang supérieur, l’assujettissant à des formalités assez compliquées. Mais, du point de vue où nous nous plaçons ici, il importe de remarquer que cette réforme législative, — dont les effets, d’ailleurs, sont restés très inférieurs à ce que le prince en avait attendu, — n’est pas plus particulièrement dirigée contre les femmes que contre les hommes. Même l’article relatif aux affranchies, que nous signalions tout à l’heure, semble avoir été dicté par un désir de réaction aristocratique bien plus que par une pensée hostile aux libertés féminines : si l’affranchie était astreinte à demeurer malgré elle unie à l’homme libre qui l’avait épousée, c’était seulement en raison de sa condition sociale ; il s’agissait de consacrer la subordination d’une classe,