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scandaleux, Terentia touche une bonne part. L’histoire de ces tripotages et de ces conflits domestiques est piquante à suivre ; à travers la correspondance de Cicéron. Elle nous atteste que l’émancipation financière de la femme est bien complète, puisqu’elle peut gérer ses affaires, non seulement sans son mari, mais contre lui.

Parfois, au contraire, elle fait cause commune avec lui, et de telle sorte que les tiers n’ont pas à s’en louer. Ses biens, distincts de ceux de son époux, sont insaisissables, même en cas de banqueroute : si elle a un mari peu scrupuleux, et si elle-même est d’une probité peu farouche, ils peuvent profiter de cette disposition de la loi pour frustrer les créanciers du ménage. Le mari, quand il se voit perdu de dettes, acculé à la faillite, n’a qu’à faire passer sur la tête de sa femme les sommes qui lui restent avant de se déclarer insolvable. Apulée, dans son Apologie, parle d’un personnage qui a eu recours à cette manœuvre dolosive, et le Digeste, en examinant les conséquences d’une telle manière d’agir, prouve qu’elle est assez répandue. Le théâtre et le roman modernes, — et même la vie réelle quelquefois, — nous avertissent que nos financiers n’ont pas laissé perdre cet ingénieux artifice, imaginé par leurs prédécesseurs de l’antique Rome.

L’entente économique entre les époux n’a pas toujours ce caractère de coalition frauduleuse. Ainsi, dans l’éloge funèbre qu’il a fait graver sur la tombe de sa femme Turia, Q. Lucretius Vespillo la remercie de lui avoir donné le maniement de son patrimoine, comme à un protecteur bienveillant et loyal. Elle n’a pas eu à s’en plaindre, semble-t-il, puisque, dans la proposition si curieuse et si touchante qu’elle lui fait de divorcer et de lui chercher une autre femme susceptible de lui donner des enfans, elle lui promet de lui laisser l’administration de sa fortune personnelle. Cette oraison funèbre, un peu emphatique de temps en temps, mais vraisemblablement sincère, nous offre un joli exemple, non plus, comme tout à l’heure, d’un couple armé en guerre pour détrousser les passans, mais d’un ménage de braves gens, qui mettent tout en commun parce qu’ils savent pouvoir compter l’un sur l’autre. Toutefois, notons bien que l’abandon de ses droits consenti par Turia est entièrement volontaire : elle remet ses biens entre les mains de son mari par sympathie, par confiance, non par nécessité. Et d’une